Actualités archéo Dép

Conférence du samedi 5 novembre 2011
De Jublains à Villaines-la-Juhel, actualités archéologiques en Mayenne
Sylvaine Morin et Anne Bocquet, archéologues au Conseil général, vous présentent les résultats de leurs opérations archéologiques, respectivement sur la découverte d’un site aristocratique gaulois à VILLAINES-LAJUHEL et sur la fouille programmée d’une vaste demeure d’un riche notable à JUBLAINS.

 

Sylvaine Morin
Fosse de l’enclos funéraire avec granit brûlé
(calage pour une urne cinéraire ?)

 
Grand fossé d’enclos
qui pourrait avoir été bordé
par un talus parementé
 
 
Céramique découverte
dans le grand fossé d’enclos

 
Le diagnostic réalisé à Villaines-la-Juhel en avril-mai 2010 a permis de mettre en évidence, dans une zone jusqu’ici peu renseignée, une vaste occupation protohistorique à multiples aspects.

En premier lieu, on notera la mise au jour d’un enclos protohistorique de près de 10 m par 8. Dans sa partie centrale sont apparues 4 fosses présentant des degrés de rubéfaction divers, laissant présager la présence d’urnes cinéraires. Le comblement du fossé a livré des charbons de bois que le Centre de Datation par le RadioCarbone de l’Université Lyon I a calé entre le 6è et le 4è siècle avant n. è.

L’occupation la plus importante se situe sur une large zone centrale où la densité des structures devient parfois étonnante, même si, bien sûr, celles-ci ne sont pas forcément strictement contemporaines.

En premier lieu, un vaste fossé rectiligne qui s’étend sur plus de 75 m de long, traverse du nord au sud l’emprise du projet de contournement. Ce fossé, daté de la Tène ancienne et/ou finale, mesurait dans un état primitif environ 10 m de large pour près de 3,00 m de profondeur et présentait du mobilier jusqu’à environ 25 cm du fond. Le recreusement postérieur présentait du bois gorgé d’eau, ce qui permet d’espérer la conservation de matériaux normalement périssables.

Le comblement final du fossé est intervenu dans le second quart du 2è s. ap. n. è. (assiettes, coupelles et coupes issues principalement de l’atelier de La Graufesenque, datables de la période 40/70 jusqu’à 130/160 ap. n.è.).

Enfin, un alignement de gros blocs de grès a été observé à l’extrémité ouest du fossé. Ces blocs semblent avoir subi un équarrissage. Leur existence pourrait suggérer un talus parementé adjacent au fossé, comme on en connaît sur le site de Paule (Côtes-d’Armor).

Le site se développe ensuite vers l’ouest et vers le nord. Un ensemble de structures fossoyées curvilinéaires a été mis au jour dans la partie ouest. Elles s’apparentent à des vestiges connus sous l’appellation d’ « enclos en trou de serrure », datées de la fin de l’Âge du Bronze et du début du premier Âge du Fer. On pourrait dès lors avoir une frange ouest dédiée aux morts qui pourrait signaler la limite de développement du site sur ce côté.

Plus à l’est, semble se développer une zone à forte concentration de bâtiments sur poteaux de bois, certains étant associés à de vastes fosses ou de bâtiments excavés dont certaines, qui présentent un comblement rubéfié, pourraient être le témoin d’activités artisanales.

Au final, cette zone densément occupée, de part et d’autre de la RD 113, semblerait associer à la fois des éléments liés à l’habitat et à l’artisanat, à une frange ouest dédiée à un espace peut-être funéraire (enclos en trou de serrure). Le tout serait structuré par un vaste réseau de fossés parcellaires.

Plusieurs structures archéologiques, notamment le grand fossé, ont livré des blocs de grès, souvent de l’ordre du mètre et pesant plusieurs centaines de kilogrammes. Ils semblent que ces blocs bordaient les talus, peut-être sous la forme d’un véritable parement de façade. Outre le fait que ces blocs soient exogènes à l’endroit où ils ont été découverts, il faut souligner qu’ils montrent, pour beaucoup, des traces de mise en forme.

Quelques éléments permettent d’envisager la présence d’une carrière, dont la tranchée 97 aurait recoupé les déblais. En effet, le décapage de la tranchée 97 a livré de très nombreux blocs de grès de May dont certains remontent ensemble. Ces blocs massifs montrent très nettement des traces probables d’extraction. Aucun élément chronologique n’est disponible pour ce secteur ; toutefois la présence de nombreux blocs de grès de May en contexte schisteux dans la partie sud du diagnostic, dont plusieurs montrent nettement des traces de mise en forme, permet d’envisager une datation contemporaine du site tout proche.

Pour conclure, le large fossé de La Tène ancienne et/ou finale amène de nombreux questionnements : quelles sont ses limites, dessine t’il un retour, possède-il un talus parementé, …. ? Sa taille évoque le site de Saint-Symphorien à Paule dans les Côtes-d’Armor. Sans vouloir comparer trop avant Villaines à la prestigieuse forteresse aristocratique bretonne, il est néanmoins intéressant de constater des similitudes. La position des deux ensembles est sensiblement identique : sur un site de hauteur, permettant une vision large et dégagée sur le paysage alentour. On remarquera également la présence d’un vaste fossé d’enclos (2,50 m de profondeur à Paule, 2,80 m à Villaines), qui pourrait, comme à Paule, avoir été bordé par un talus parementé ? Enfin, on pourra noter que comme Paule, Villaines se situe vraisemblablement à l’époque du Second Age du fer à proximité de la limite supposée entre plusieurs territoires : celui des Diablintes, celui des Sagiens et celui des Cénomans. Enfin, dans les 2 cas, on note la présence toute proche d’une carrière.

Les sites à enclos du Second Age du Fer commencent à être bien connus dans la région des Pays de la Loire et au delà dans l’Ouest de la France. Toutefois, l’occupation de Villaines se singularise par la densité des structures et par la puissance de l’un de ses fossés.

Ce site semble donc prendre une place importante dans le paysage du Second Age du Fer, aussi bien en Mayenne que dans la région des Pays de la Loire.

Sylvaine Morin

 

Anne Bocquet
Plan de la domus
Vue de l’aile inférieure de la domus

 
Déesse de l’abondance
Jublains

Contexte

Jublains est identifié depuis le 18ème siècle comme la ville gallo-romaine de Noviodunum, chef-lieu de la cité des Aulerques Diablintes. C’est en 1776 que furent mis au jour les premiers vestiges antiques sous la forme d’un bâtiment orné d’une mosaïque. Au cours du 19ème siècle, les travaux permirent de dégager les principaux bâtiments publics. Ce sont surtout eux qui ont été fouillés dans la deuxième moitié du 20ème siècle : thermes (René Diehl), forteresse (René Rebuffat), théâtre (Bernard Debien, puis Françoise Dumasy-Mathieu), temple (Jacques Naveau). La ville elle-même, dont les deux tiers sont en dehors de l’espace actuellement bâti, n’a été que très peu fouillée jusqu’en 1996. A partir de cette date, et jusqu’en 2004, une vaste superficie de 5000 m² a en effet pu être explorée dans les quartiers sud-est de la ville (fouilles de La Grande Boissière et du Taillis des Boissières). Ce quartier a livré des vestiges d’habitats modestes en terre et bois, accompagnés d’ateliers artisanaux, et bordés par deux rues. La chronologie d’occupation concerne deux périodes distinctes : du 1er siècle av. J.-C au 3ème siècle ap. J.-C., puis du 7ème au 9ème siècle ap. J.-C.

Problématique générale

La fouille actuellement en cours a débuté à l’été 2010. Le terrain se situe dans l’îlot le plus central de la ville, immédiatement au sud du forum.

Les problématiques soulevées pour l’ouverture d’une fouille à cet emplacement étaient de plusieurs ordres :

La situation privilégiée de ce secteur, en cœur de ville, devait permettre notamment d’aborder la thématique de l’urbanisme et de sa réalisation concrète posée par les fouilles des quartiers artisanaux. En effet, dans ces quartiers, le schéma urbain est resté inachevé (fossés, trottoirs et portiques n’ont ainsi jamais été réalisés).

La fouille devait également permettre de mettre au jour des bâtiments « en dur » et d’étudier ainsi les modes de construction, les volumes occupés, etc.

Le dernier point important abordé est celui des débats chronologiques concernant les origines et surtout les fins d’occupations, probablement plus longues dans des quartiers centraux que périphériques.

 
Déesse-mère
Les résultats de 2010

La première campagne de fouille a permis de mettre au jour des vestiges appartenant à une vaste domus.

Les vestiges localisés dans la moitié ouest sont constitués de nombreuses maçonneries. Une entrée avec vestibule est localisée au sud ; elle permet d’accéder à un long couloir nord-sud de 25 mètres de long qui dessert des pièces de part et d’autre. A l’ouest, cinq pièces quadrangulaires présentent des volumes de 20 à 30 m² et des sols de mortier épais. Leurs usages restent indéterminés, mais des pilettes d’hypocauste semblent indiquer la présence de salles chauffées. A l’est du couloir, une longue pièce, dont les limites sont encore mal définies, comporte un bassin dans sa partie centrale. La présence conjointe de salles chauffées et de bassin laisse ouverte l’hypothèse d’une aile de la domus réservée à un usage thermal privé.

La qualité de construction des maçonneries et des sols, ainsi que la présence d’enduits peints sur certains murs (bandes ocres et vertes), témoignent de la richesse de la maison.

La moitié est de la surface décapée (soit 500 m²) pose de multiples questionnements, puisque les vestiges maçonnés en sont absents. Afin de « sonder » la zone, il a été décidé de réaliser manuellement une tranchée est-ouest (17 m de long), entre le dernier mur connu et la limite de fouille, emplacement présumé de la rue antique. Des vestiges (sol compact et maçonneries très altérées) apparaissent sous une quarantaine de centimètres de niveaux modernes (trace d’un chemin notamment). Il a été décidé d’arrêter le sondage sur ces structures, qui a priori, sont antiques. Il apparaît évident, au regard de la topographie actuelle, que le terrain naturel connait une forte déclivité vers l’est et il serait alors possible que l’un des murs structurant de la domus soit en fait un mur « terrasse » et que des vestiges puissent être conservés à un niveau inférieur. Reste également entier le problème de l’articulation de l’habitat avec le réseau viaire, qui n’a encore pu être abordé.

Les premiers éléments de chronologie dégagés montrent des perturbations modernes et des phases de réoccupations médiévales (une phase 14e-15e, et une phase centrée autour du 8e siècle).

En ce qui concerne l’Antiquité, la fin de l’occupation semble concerner le 3e siècle au sens large du terme, ce qui est plus tardif que les quartiers artisanaux, mais qui semble encore très précoce pour un quartier aussi central.

Un sondage profond, ainsi que des éléments mobiliers résiduels (bracelet en lignite) attestent d’une occupation de l’Age du fer, conservée à environ 1.50 mètre de profondeur.

Les premiers résultats de 2011

Sur la moitié est de la fouille, le deuxième décapage mécanique a permis de mettre au jour de nouveaux vestiges (murs et sols) se rattachant à la domus.

Ainsi, une nouvelle aile d’habitation, composée de 7 pièces de volumes inégaux, se dessine nettement. Elle est bordée à l’est par une galerie de circulation, large d’environ 2.50 m.

La particularité de cette deuxième aile est de se trouver à un niveau inférieur. Le terrain naturel présente à cet endroit une déclivité, qui a été compensée, non par un remblai massif, mais par un fort mur-terrasse, conférant ainsi deux niveaux à la maison. Les modalités de circulation entre ces niveaux (escaliers notamment) restent à découvrir.

La partie la plus à l’est (point d’interrogation sur le plan) n’a livré aucun vestige maçonné, si ce n’est le probable mur de façade de la domus, partiellement dégagé en limite de fouille. Ce manque de vestiges s’explique par la destruction et la récupération massive de matériaux aux 18ème-19ème siècles. Les récupérations semblent avoir été totales dans la zone la plus à l’est (possible zone d’entrée de la demeure), partielles dans l’étage inférieur (certains murs n’existent plus que par leurs négatifs), puis quasiment nulles dans la partie haute. Il est donc probable que nous ne pourrons avoir des renseignements sur l’architecture de la domus dans cette zone. En revanche, des niveaux précoces (1er siècle ?) semblent y être conservés, ce qui donnera l’occasion de les fouiller sans démonter les maçonneries.

L’enseignement principal est que la maison occupe donc désormais toute la surface de la zone décapée (soit 1300 m²). Mais sa superficie est certainement plus vaste puisque des maçonneries se poursuivent au sud et à l’ouest (fait vérifié par une prospection géophysique réalisée à l’hiver 2010 par l’entreprise Géocarta).

Le plan montre deux ailes d’habitation desservies par des couloirs, encadrant une petite pièce quadrangulaire d’environ 8 m². Deux éléments mobiliers découverts dans le comblement permettent de proposer l’hypothèse d’un laraire*. Il s’agit de deux statuettes représentant des figures féminines, liées au culte de l’abondance et de la fertilité. La première est une statuette en terre blanche figurant une déesse de l’abondance debout, portant dans sa main gauche une corne d’abondance et dans sa main droite une patère décorée d’une étoile. La deuxième statuette a été retaillée dans un élément de corniche en grès. Le personnage est assis ; seules les jambes et la tête sont grossièrement évoquées. Sa position évoque celle des déesses-mères, petites statuettes protectrices de la maisonnée.

Ces deux statuettes sont à mettre en relation avec un culte domestique destiné à attirer bonheur et prospérité sur la demeure et ses habitants. La découverte d’un laraire est tout à fait exceptionnelle et permet d’approcher les pratiques cultuelles dans le cadre familial.

Au-delà d’un éclairage porté sur l’histoire de la ville de Jublains, la fouille de la domus permet également d’approcher le quotidien de ses habitants, de leur cadre de vie et de leurs croyances. Ainsi, parmi les objets découverts lors de la fouille, on peut noter des bijoux (bague, perles en verre), des objets liés à la toilette (spatule à fard, épingles en os), des objets liés au jeu (pions en os ou en verre) ou des objets témoignant du statut social élevé des propriétaires, tels que boîte à sceau.

* Au sens strict, le laraire est un autel destiné au culte des Lares, les dieux du foyer. Par extension, il s’agit d’un petit sanctuaire domestique où se rassemble la famille et où sont disposées les statuettes des divinités célébrées.

Anne Bocquet

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