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Fig. 1 Les ruines de l’abbaye de Savigny. Cette abbaye, ainsi que toutes ses filles intègrent l’ordre cistercien en 1147 pour faire face à des difficultés de cohésion. (Crédits : coll. Privée) |
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Fig. 2 Vue aérienne de l’abbaye de Clairmont. Cette vue permet de bien observer ce qui fait de l’abbaye de Clairmont une structure au plan typiquement bernardin. (Crédits : site de l’Association des Amis de l’Abbaye de Clermont) |
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Fig. 3 Gravure de l’abbaye de Fontaine-Daniel tirée de la collection Gaignières. (Crédits : BNF) |
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Fig. 4 Réfectoire de l’abbaye de Clairmont. L’austérité, principe cher aux Cisterciens, s’y remarque au premier coup d’œil (Crédits : site de l’Association des Amis de l’Abbaye de Clermont) |
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Fig. 5 Extrait de la carte IGN montrant la localisation de la Herperie. |
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Fig. 6 Extrait du cadastre dit Napoléonien de la commune de St Georges Buttavent. L’intérêt est de montrer qu’à la veille du développement industriel du village de Fontaine-Daniel, l’abbaye est toujours à l’écart du monde séculier. (Crédits : Arch. Départementales de la Mayenne) |
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La fin du XIe et le début du XIIe siècle représentent une période marquant un retour aux sources monastiques qui connaît son apogée au temps de la première croisade : A l’Est, l’abbé Robert quitte son monastère de Molesmes en 1098 pour aller fonder Cîteaux avec 21 de ses compagnons. Son objectif était alors de rétablir dans sa pureté et son authenticité la règle dite bénédictine établie par le saint moine de Murcie au VIe siècle. En 1115, saint Bernard quitte cette abbaye pour fonder Clairvaux. Dans l’Ouest, le mouvement de renouveau spirituel se fait le plus sentir au travers de l’érémitisme. Savigny, abbaye qui donnera son nom par la suite à une véritable congrégation, est créée vers 1112 en Normandie sous la direction de St Vital. Ce courant ouvre lentement la voie aux Cisterciens. (Fig. 1)
I. La « conquête de l’Ouest » par les Cisterciens et les Savignaciens
Dans un premier temps, c-a-d durant la période 1118 – 1131, les moines de Cîteaux ont entamé une démarche d’expansion de l’ordre vers l’Ouest de l’espace capétien. Au cœur de l’Ouest, 2 grands centres d’implantation monastiques sont alors visés par les moines cisterciens : en 1121, Le Louroux (9e fille directe de Cîteaux) est fondée en Anjou par le comte Foulque V Le Jeune. L’Aumône (8e fondation directe de Cîteaux) envoie quant à elle des moines s’installer à Begard en Bretagne en 1130. Les années 1134 – 1143 voient un développement exceptionnel des moines cisterciens et savignaciens. Des zones privilégiées d’expansion pour les abbayes se repèrent et le Maine apparait comme encerclée par les fondations de ses voisines. Enfin, arrivent les années 1145 – 1153. Le Maine devient alors un nouveau terrain de jeu pour les Cisterciens. 4 premières abbayes cisterciennes sont ainsi fondées durant cette brève période (dont 2 dans le Bas-Maine) : Perseigne, (av. 1145) ; Clermont (vers 1150) (Fig. 2) ; Tyronneau ; enfin, Bellebranche, (vers 1150). Finalement, la messe est presque dite, 32 des 44 abbayes cisterciennes masculines de l’Ouest sont déjà fondées en 1153. La seconde grande étape dessine un retour à des chiffres nettement plus faibles et attendus entre la mort de Saint Bernard en 1153 et les années 1240. Les années 1170 – 1200 forment à ce titre une étape significative : l’avènement de Philippe Auguste comme celui de Richard Cœur de Lion correspondent aux débuts de l’expansion économique de l’Ordre cistercien. Le Maine se couvre de 2 abbayes cisterciennes supplémentaires : Sainte-Marie de Champagne (1188) ; Fontaine-Daniel (vers 1200). Parallèlement, cette principauté forme l’écrin d’installation d’un maître cistercien à la mode à l’échelle de tout le royaume, voire au-delà : Adam de Perseigne. Au tout début du XIIIe, le phénomène cistercien semble timidement relancé par les fondations féminines. Mais, entre temps, les Cisterciens de l’Ouest avaient transmis le relais à de nouveaux ordres comme les Dominicains ou les Franciscains.
II. Le Maine, un territoire cistercien sans chef de file ?
Finalement, le monachisme cistercien emprunte 3 caractéristiques dans le Maine : La première concerne le léger retard des implantations cisterciennes qui explique très certainement que ces abbayes n’ont pas pu déclencher un véritable mouvement de fondation, mais qu’elles n’ont pu qu’accompagner celui-ci à une échelle plus globale. La seconde caractéristique notable est l’importance du rapport à l’érémitisme. Les épaisses forêts du Bas-Maine forment un refuge idéal pour ces hommes en mal d’une nouvelle spiritualité. Pourtant, le Maine est une sorte de zone frontière et le théâtre de nombreuses luttes entre les princes angevins, bretons et Normands. La troisième et dernière caractéristique est l’absence d’un véritable réseau cistercien qui aurait eu à sa tête une abbaye inspiratrice ou directrice. Une seule abbaye, Clermont, réussit à essaimer et ce de façon tardive à Fontaine-Daniel. (Fig. 3)
III. Des fondations claravaliennes entre stratégies religieuses et motivations politiques
Les moines ont régulièrement abandonné le site primitif au profit d’un 2nd mieux adapté. Ces transferts sont souvent intervenus au bout de quelques années au moment où l’on a estimé que l’installation était un échec. Dans le cas de Clermont, il ne semble pas qu’il y ait eu cette problématique. Le choix même du site a été réfléchi par les religieux et le seigneur donateur : l’abbaye est située au carrefour de plusieurs paroisses ; l’eau y est très présente et il s’agit d‘un espace où le couvert forestier et la topographie de fond de vallée se repèrent. (Fig. 4) Pour Fontaine-Daniel, les choses sont différentes. L’infertilité du site de la Herperie, associée à un manque d’eau expliquerait le déplacement de l’abbaye à la forêt de Salair à l’Ouest de Mayenne. Pourtant, le site semble toujours répondre aux attentes des Cisterciens. (Fig. 5) A l’inverse, la raison semble politique et l’installation dans le bois de Salair permet aux moines de se placer désormais sous la domination d‘un seul homme, le seigneur Juhel III de Mayenne. (Fig. 6) Ensuite, il est possible de relever l’ambiguïté des motivations seigneuriales. En premier lieu, la volonté religieuse avec l’objectif de créer des pôles religieux : fonder une abbaye est avant tout un souhait pieux. Ainsi, Guy V de Laval fonde l’abbaye de Clermont, notamment pour son frère infirme. Cette motivation religieuse a régulièrement été minimisée. La seconde motivation est l’optimisation du contrôle seigneurial face aux voisins ou aux seigneurs supérieurs et l’extension de la sphère d’influence du seigneur fondateur. Ainsi, l’abbaye de Clermont permet à la famille de Laval de s’imposer face à la famille de Vitré. Enfin, la fondation de Fontaine-Daniel permet à Juhel de compléter son panel de fondations religieuses dans sa forêt de Mayenne.
Conclusion
Clermont et Fontaine-Daniel représentent 2 fondations, 2 époques et 2 motivations différentes. Leur point commun est d’être des instruments de contrôle seigneurial. Ces fondations sont globalement tardives à l’échelle du phénomène cistercien. Ainsi, Clermont met tout de même 50 ans avant de pouvoir essaimer. Indice d’une faiblesse et du peu d’importance de cette abbaye en comparaison d’autres comme Savigny ou Bégard. Quand d’autres ont comme fondateur un duc, Clermont n’a qu’un simple baron ! |