Conférence

La revue n° 30

Pratiques funéraires et patrimoines d’éternité : l’Homme face à la mort

Par David Foisneau

Monuments funéraires en Coëvrons-Mayenne

Souvent oubliés, parfois même mésestimés, les monuments aux morts sont devenus pour beaucoup un élément banal de notre paysage quotidien. Pourtant, replacés dans leur contexte historique ou envisagés dans leur dimension symbolique, ils nous révèlent de nombreux messages dont le sens nous a parfois échappé. Les monuments aux morts du territoire Coëvrons-Mayenne s’inscrivent dans cette lignée et trouvent naturellement leur place dans le champ du patrimoine funéraire.

Le traumatisme immense de la Grande Guerre et l’émergence, avant même l’armistice, d’un culte collectif en l’honneur des soldats tombés sur le champ de bataille déterminent l’érection de plus de 36 000 monuments sur l’ensemble du territoire national. Les discours d’inauguration et les délibérations municipales résument bien les motivations qui président à leur édification : « …en témoignage de la reconnaissance et de l’admiration, pour les braves qui ont sauvé le pays » à Sacé, « …pour glorifier les morts de la Patrie » à Deux-Evailles.

Dans l’église de Saulges

Phénomène d’une ampleur encore inconnue jusqu’alors, les monuments de la guerre 1914-1918 sont, à la différence de ceux élevés au lendemain de la guerre de 1870, portés par les communes en lien étroit avec l’État. Celui-ci a mis en place toute une série de lois et de réglementations afin d’encadrer les projets. Cependant des querelles portant sur l’ornementation ou l’emplacement du monument ont parfois divisé les autorités politiques ou les habitants eux-mêmes.

Ainsi, la commune de Champgenéteux s’est vue refusé son projet de monument aux morts au motif qu’il comportait un emblème religieux (la statue de saint Jean) sur la voie publique. Plus consensuelle, la croix de guerre est alors privilégiée. En revanche, lorsque le monument est installé dans le cimetière, entière liberté est laissée aux municipalités dans le choix de l’ornementation. On y retrouve alors des références religieuses explicites à l’image du monument-croix de Saint-Ouen-des-Vallons.

à Belgeard

Le nombre de monuments eut, bien évidemment, des incidences commerciales. Même modestes, les monuments constituaient un poids financier très lourd pour les communes. Elles ont alors choisi leur monument dans des catalogues pour le plus grand profit des entreprises de fonderie ou de marbrerie. Certaines, soucieuses d’ériger des œuvres originales, ont préféré solliciter des artistes locaux (le sculpteur lavallois Charron à Mayenne) ou plus réputés (Raoult Josset à Saint-Germain-d’Anxure). Pour limiter les productions jugées esthétiquement pauvres, une commission artistique s’est constituée dans chaque département. Présidée en Mayenne par M. Bouvier, alors architecte départemental, elle joua parfaitement son rôle. Les projets revenaient dans les mairies avec un avis favorable ou non, accompagné de conseils techniques pour améliorer la qualité artistique de l’œuvre.

Les démarches accomplies, l’inauguration du monument pouvaient enfin avoir lieu. Elle était vécue partout avec ferveur et émotion par la population. Pour l’événement, les bourgs étaient décorés avec lustre et apparat. A Jublains, « dix magnifiques arcs de triomphes variés et d’un goût parfait » encadraient le cortège tout au long du parcours.

à Bazougers

Les monuments aux morts des Coëvrons-Mayenne et plus largement de la Mayenne ne se distinguent pas par leur originalité ni par un sens esthétique particulier. Cependant les formes et les symboles sont variés. La plupart, par souci financier, représente un obélisque surmonté d’une croix de guerre (Belgeard), d’une urne (Evron) ou bien un coq (Sainte-Suzanne). D’autres traduisent les peines de la guerre à l’image du soldat mort porté par ses frères d’armes à Saint-Germain-d’Anxure. Enfin, toute une série de « poilus » se dressent dans les villages : Victorieux, le soldat brandit une couronne de lauriers à Senonnes. Résistant, il défend le passage à Alexain ou bien mourant, il s’effondre le drapeau serré contre la poitrine à Montsûrs.

Les commentaires sont clos.