– Compte-rendu de la conférence –
L’inscription lapidaire de la chapelle Saint-Pierre de Saulges : un trésor précarolingien ?
Par Jean-René LADUREE
Les origines du village de Saulges sont méconnues, mais la reprise du corpus documentaire, s’étalant du VIIIe au XIIe siècle, permet de comprendre que ce lieu de peuplement a pris la relève d’une nécropole mérovingienne qui a pris fin autour du VIIIe. Un vicus canonicus, siège de la chapelle précarolingienne de Saint-Pierre, et un vicus publicus se développent, ce qui sous-entend que ni saint Julien, ni saint Céneré ne peuvent être à l’origine de ces
bourgs.
La chapelle dispose d’une physionomie malheureusement très remaniée en raison des restaurations réalisées entre 1958 et 1965 par un archéologue amateur, Maître Ramard. Son parti architectural est celui de l’époque préromane, même si elle a subi d’importantes transformations au XIIe, puis au XVe siècle. La pierre gravée, de taille très modeste, au centre de cette conférence, forme la clé de l’arc ouvrant sur le choeur. Le VIIIe siècle apparait comme le moment de sa construction. En témoignent l’arc en anse de panier, les reins montés « en tas de charge » et l’utilisation de claveaux de tuiles antiques. Au niveau abstrait, le choix du support pour ce texte gravé et sa localisation à 2m30 de haut font clairement la singularité et la valeur de ce texte, et sa brièveté participe à sa durée et à sa publicité. Les conditions matérielles rendent ce texte difficile, voire impossible à décrypter pour des non-initiés, ce qui appuie l’idée qu’il devait être destiné à un public épigraphique particulier.
Après la forme, il convient de s’attarder sur le texte en lui-même. De nouvelles transcriptions et traductions ont été réalisées et seront consultables dans une publication qui sera proposée prochainement au comité de lecture de la SAHM. L’ordinatio indique que le texte couvrait tout le claveau et comme bon nombre d’inscriptions épigraphiques médiévales, sa caractéristique majeure est la brièveté. Le texte est divisé en 3 sections séparées par des croix. La brachygraphie est utilisée à plusieurs reprises. Les croix et l’expression incepit tendrait à voir en ce document une dédicace ou une consécration de l’édifice, même si d’autres arguments, plus nombreux, laissent croire qu’il s’agit d’un texte s’apparentant à une épitaphe de l’époque précarolingienne : une première étude paléographique permet d’observer qu’il est rédigé en onciales ou en écriture mixte. L’étude lexicographique, notamment les expressions vivat in Deo ou l’appel au lecteur, qui legit, abonde en ce sens. En ce sens, cette inscription est difficile à classer et à définir, son contenu semble bien pouvoir être datable du VIIIe siècle. Ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’il a été gravé à cette époque.
Les approximations et les incertitudes d’une telle recherche n’interdissent pas d’émettre d’autres hypothèses quant à cette datation, notamment le XIe ou le XIIe siècle. Dans le contexte grégorien, en 1060, la chapelle est rendue par le seigneur local, Guy de Saulges, qui la détenait illégalement, aux moines de la Couture, alors qu’elle appartenait auparavant aux chanoines cathédraux du Mans. En 1112, l’évêque doit intervenir pour mettre fin à un long conflit opposant ces deux groupes de religieux.
Le terme Vade, particulièrement mis en valeur dans l’inscription et que
personne ne s’est risqué à traduire jusqu’à aujourd’hui, forme un argument
en ce sens. Enfin, rien ne permet d’affirmer que Vandolenus et Medovius,
nos deux prétendus donateurs, seraient l’évêque Gauziolène et son
assistant, Mérolle, qui vivaient au VIIIe siècle, d’autant plus qu’il est
aujourd’hui démontré que Mérolle n’a jamais été chorévèque de Saulges.
Cependant, une étude anthroponymique invite, comme pour Gelamus, le
lapicide, à tourner nos regards vers les époques mérovingienne ou
carolingienne.
(La photo ci-contre est celle d’un moulage réalisé par la DRAC Pays de la Loire)
Jean-René LADUREE
Chargé de cours en Histoire Médiévale – UCO Laval (53) et Arradon (56)
Les illustrations sont de l’auteur