Craon

Conférence : Samedi 13 février 2010 à Craon

 » La pierre et l’homme dans le Craonnais,

des origines à nos jours « 

Compte-rendu par Monsieur Jean-Claude MEURET

Monique Guéguen
Jean-Claude Meuret
Dès son origine, l’homme a employé le matériau pierre, d’abord et pendant des millénaires pour fabriquer ses outils, puis dès le Néolithique et jusqu’à nos jours pour construire des édifices capables de défier le temps. Cette relation culturelle multiséculaire entre le matériau et les hommes, et plus spécialement dans la Mayenne craonnaise a fait l’objet de la conférence décentralisée donnée par J.-C Meuret pour la SAHM à Craon, samedi 13 février.

C’est un biface du Paléolithique recueilli à Livré-la-Touche qui constitue le plus ancien témoin de cette relation. Du Néolithique témoignent ensuite nombre de haches polies, faites le plus souvent de dolérite armoricaine ; on constate que la pierre circule déjà à longue distance. Mais dès cette époque, des édifices sont déjà réalisés en pierre, ce sont les mégalithes à destination funéraire et cultuelle, tels le monument de la Cahorie, ou l’enceinte des Fontenelles à Bouchamps, qui n’ont cependant pas été fouillés. Phénomène original, on observe pour cette époque la présence d’une très longue ligne de menhirs disposée d’Est en Ouest le long de la vallée du Chéran , et prolongée en Bretagne par les mégalithes du chemin des Sauniers. Il est tentant d’y voir les jalons d’un grand axe de circulation armoricain : c’est en effet à l’extrémité de celui-ci que se voit le dolmen angevin à portique de la Roche-aux-Fées (35), témoin d’influences culturelle venues de l’Est, depuis le Saumurois. A l’Age du Bronze en même temps qu’apparaissent les premiers outils de métal, on fabrique des succédanés de pierre telles les belles haches marteaux à perforation de Cossé ou de la Chapelle-Craonnaise. De la même période datent les premières meules dormantes à céréales. A l’âge du Fer, hors des murs des oppida comme peut-être celui de Moulay, on n’utilise encore que peu la pierre à bâtir dans nos régions ; mais à la Glannerie en Athée, comme sur bien d’autres établissements ruraux de l’Ouest, les Gaulois du IIe s. av. J.C. emploient des cailloux pour caler les poteaux de leurs maisons. Grand progrès technique, c’est à ce moment qu’apparaissent aussi les premières meules rotatives à céréales ; ici, elles sont réalisées en granit.

Monument mégalithique de la Cahorie à Bouchamp-lès-Craon
Inscription de Bazouge
Château de Guy Leclerc à Chemazé
La Hayère en Brains au début du XVI è siècle
 

Documents et dessin : Jean-Claude Meuret

La Joubardière à Saint-Martin du Limet
La Joubardière : détail d’une fenêtre
 

La Joubardière : cliché B Béranger SAHM53

Cependant, il faut attendre la conquête romaine, et l’exemple des Latins, pour que l’on commence à construire non seulement des lieux de culte, mais parfois aussi des demeures de pierre. Le temple circulaire à galerie des Provenchères en Athée, en fournit une belle illustration, tout comme le bloc gravé dédié à Mars Mullo qui en provient sans doute. Mais les colonnes à chapiteaux corinthiens, taillées dans un calcaire importé, récemment redécouvertes en remploi à Saint-Clément-de-Craon, appartiennent probablement à une villa qui reste à découvrir, peut-être tout près selon certains indices. Quant à la belle cave murée découverte à Cossé en 2004, elle appartenait à un édifice plus modeste. Les cinq siècles qui suivent la période gallo-romaine, ceux du haut Moyen-Age, sont réputés à juste titre, avoir été une période de déclin de l’architecture de pierre, et ce malgré le contre exemple du palais fouillé à Mayenne. Mais si la pierre est abandonnée pour les habitations des vivants ou des dieux, à la période mérovingienne, elle investit les demeures des morts : on enterre alors dans des coffres réalisés en dalles de schiste, matériau localement abondant, mais aussi dans des sarcophages monolithiques taillés dans du calcaire coquillier, probablement importé du Saumurois. Nombre de nécropoles anciennement découvertes, ou révélées par des remplois dans des murs d’églises, ou parfois fouillées, en témoignent, comme à Saint-Clément de Craon, ou plus récemment à Ménil. On connaît même un fragment de sarcophage de roussard remployé à Bouchamps, où l’on sait d’autre part que le souverain breton, Salomon, possédait une résidence en 860. Regrettons cependant l’absence de fouille récente et d’observations attentives qui pourrait livrer des inscriptions funéraires sur coffres de schiste : le sud-est de l’Ille et-Vilaine en a récemment produit plusieurs, et on conserve à Bazouges une splendide dalle inscrite, gravée en 876.

Après l’an mil, le Craonnais, comme tout l’Occident se couvre d’un blanc manteau d’églises ; on redécouvre alors l’art de construire en pierre à la manière romaine, et comme toujours ce sont les détenteurs du pouvoir qui en initient l’usage ; en premier lieu l’Eglise. Pour le cas, on emploie abondamment les grès armoricains si aptes à la taille et d’une belle couleur dorée : à la chapelle Sainte-Eutrope à Craon -très remaniée-, à l’église paroissiale de Livré-la-Touche et, plus encore, à la belle façade romane de Notre-Dame-de-la-Roë, bâtie au milieu du XIIe s. Mais chaque époque a son matériau de prédilection. Le XIIe et le XIIIe s. en voient arriver un nouveau, le grès roussard. Roche énigmatique car présente en blocs de quelques mètres seulement à l’intérieur de dépôts sableux -on a eu la chance d’en observer à Bouchamps- ce grès ferrugineux est alors privilégié pour sa couleur foncée ; elle permet des jeux de polychromie comme au tympan de l’église de Mée, ou un peu plus au sud, aux arcades de la salle capitulaire de l’abbatiale de Nyoiseau (49). Elle offre aussi une taille facile, comme on le voit aux nervures et colonnes du bras Nord de N.-D. de-la-Roë. En son absence, on emploie parfois un substitut, les blocs de brèche ferrugineuse, quelquefois nommés grisons ou renards, présents dans les secteurs humides et d’une autre origine géologique : au XIe s. à l’église de Saint-Cyr-le-Gravelais ou au XIIe s. au portail de l’église de Bazouges ; leur usage perdure d’ailleurs au delà du Moyen-Age, jusqu’au XVIIe s. comme dans le porche ou les dépendances du prieuré de Saint-Clément de Craon. Les édifices civils de pierre sont alors une rareté, ici comme ailleurs, le bois et la terre l’emportant largement pour la construction commune. Cependant le château de Craon, cité dès le IXe s., risque fort d’avoir été bâti en pierre ; mais, détruit précocement, il n’en reste presque rien à l’exception de bases de murs et d’un vestige de tour carrée, dissimulés sous le lierre et non datés. De même, la ville de Craon, place majeure au Moyen-Age, reçut certainement une enceinte de pierre dès le XIIIe s. : ce fut le cas à Laval, à Château-Gontier, ou dans la Bretagne voisine, dans toutes les places de la marche, de Fougères à Clisson en passant par Vitré, et Châteaubriant. Celle-ci, n’est connue que par des plans et un dessin du XVIIIe s., quelques fragments de murs repris et une tour arasée. Mais elle étonne beaucoup par son développement et son nombre de tours qui s’élèvent respectivement à 1600m et à 27 unités. En ajoutant le château, c’est au bas mot une masse de 50 000 m3 de pierre qu’il a fallu mettre en œuvre pour l’édifier ! Les carrières restent à découvrir. La fin du Moyen-Age voit l’usage de la pierre pour la construction se répandre en cascade dans les strates moins élevées du pouvoir. D’abord dans nombre de manoirs, dont l’immense majorité fut édifiée au XVe s., mais dans la continuité de manoirs à motte de terre et de bois des XIe et XIIe s., puis de maisons fortes mal connues au XIIIe et XIVe s. Dans ces nouveaux manoirs, on fait usage d’un nouveau matériau, le schiste, très abondant sur Renazé, Congrier, Senonnes. Son arrivée tient sans doute autant à l’usage de nouveaux outils de débitage en fer, qu’à une volonté d’ouvrir plus largement portes et fenêtres à la manière  » Renaissance « . Il en résulte une profonde modification de l’architecture : les Joubardières en Saint-Martin-du-Limet et le château de Senonnes sont des exemples parmi d’autres. C’est à cette même époque du milieu XVe qu’apparaissent les premières mentions d’ardoisières à Congrier et Senonnes : c’est le signe que depuis quelque temps déjà, la tuile ou les végétaux font place à l’ardoise sur les toitures ; les solins à faible pente pour toit de tuile, conservés sur la face interne du pignon de N.-D. de La Roë, en apportent le témoignage. Mais on doit insister sur le fait que les plus remarquables des manoirs de l’époque sont le fait de personnages de très haut rang, de ceux qui étaient au contact des innovations royales de la Renaissance : c’est Mortiercrolle construit par Pierre de Rohan, Maréchal de Gié, chef des armées françaises, ou c’est encore Saint-Ouen en Chemazé, édifié par Guy Leclerc, évêque et confesseur d’Anne de Bretagne, le même qui dote son abbaye de La Roë d’un extraordinaire chœur flamboyant. C’est d’ailleurs dans ces trois édifices que se manifeste l’usage surabondant et précoce du tuffeau, matériau amené à grands frais du Saumurois. En revanche, très rares sont les manoirs attribuables au XIVe s. : c’est cependant le cas du Plessis en Marigné-Peuton, qui n’est pas une grange, car sa belle salle haute sous charpente et ses cheminées sur mur gouttereau en font foi. Plus tôt encore, un édifice mérite qu’on s’y arrête pour sa précocité, et sa rareté, c’est le Château en La Boissière : tour quadrangulaire d’un type précoce, conservée sur trois niveaux, avec ses ouvertures de type roman, ses créneaux dotés de corbeaux rainurés pour volets de protection, l’usage abondant du grès roussard, et sa cheminée archaïque. On évoque pour lui le XIIe s., mais il peut être un peu plus récent. Le XVIe s. puis le XVIIe s connaissent un grand développement de la construction, visible aux nombreux manoirs de la petite noblesse qui se dotent tous de tours d’escalier à degrés de schiste ou aux multiples extensions des églises. C’est aussi dans ces dernières que se manifestent de belles innovations dans l’usage de la pierre, sous la forme de spectaculaires retables caractérisés par l’usage des calcaires angevins et des marbres lavallois. Une fois encore, la pierre véhicule à la fois pouvoir et idéologie, pour le cas, ceux du concile de Trente. Pour le Craonnais du XVIIIe s.. trois édifices viennent à l’esprit qui démontrent une fois encore que la pierre, au-delà de la matière, est toujours porteuse du principe de pouvoir : le remarquable château nouveau de Craon édifié par M. de la Forêt d’Armaillé en 1760, au sommet de sa colline, et face à une perspective de près d’un kilomètre, les nouveaux et immenses bâtiments abbatiaux de La Roë, totalement surdimensionnés par rapport au faible nombre de religieux qui y vivaient, et le délicat château du Roseray en Ballots, sans doute construit par Simonneau, l’architecte de La Roë, trois édifices dans lesquels triomphe le tuffeau du pouvoir. Du XIXe s., on peut retenir l’extension de l’usage de ce tuffeau, voire sa démocratisation : on observe son emploi de plus en plus fréquent dans des édifices bourgeois ou marchands comme au Grand Saint-Pierre à Craon ou de simple demeures à étage de propriétaires terriens, souvent dans les bourgs. Il n’est pas jusqu’aux chapelles funéraires -Pommerieux en possède une remarquable- qui n’affichent la richesse des familles au travers de cette pierre. Il en est de même avec les églises, si nombreuses à être reconstruites à la fin du siècle, souvent en roches importées, et qui manifestent sans doute la vigueur de la religion mais aussi la volonté de l’Eglise d’afficher sa force temporelle, si ce n’est politique : ainsi, ne va-t-on pas jusqu’à qualifier de cathédrale une simple église, celle de Saint-Nicolas de Craon !

Le dernier chapitre de la video conférence a enfin été l’occasion d’aborder un sujet souvent négligé et pourtant riche de perspectives de recherche, tant en archives que sur le terrain, à savoir l’habitat vernaculaire, c’est-à-dire rural et traditionnel. Là, il apparaît très vite que dans les franges modestes de la population de cette région, comme partout dans l’Ouest, l’habitat de pierre ne supplante celui de bois et de terre que très tardivement. Les demeures paysannes les plus anciennes ne remontent guère avant les années 1500. Un exemple remarquable en est fourni par la Hayère en Brains-sur-les Marches, maison mixte d’une tradition très ancienne, voire protohistorique, associant une partie habitée en pierre et une partie en pans de bois à destination agricole. La première -pensée pour la montre- possède porte en plein cintre à claveaux multiples, fenêtre à linteau de pierre et visages sculptés d’un couple, salle basse à cheminée sur pignon et beau linteau de bois sculpté, et chambre haute avec fenêtres à coussièges. Mais la seconde toute de bois et terre sur solins isolants de pierre, qui présente une grande maîtrise dans la mise en œuvre de l’ossature charpentée, atteste de l’ancienneté et de l’enracinement des techniques de construction en bois. Ce n’est qu’un exemple et d’autres modèles d’habitats ruraux de pierre vont se développer jusqu’au XIXe s. et même XXe s. constituant tout le tissu de l’habitat rural, qu’on peut encore observer aujourd’hui, malgré les stigmates des transformations, des abandons, ou des restaurations. Il y a là tout un champ d’enquête et de recherche encore presque vierge, au moins pour cette région de la Mayenne.

Au total, la présentation a été l’occasion de constater que la pierre mise en œuvre de main d’homme est tout sauf un matériau inerte. On observe au contraire que déjà, dès les origines, les outils de pierre contiennent et expriment à la fois, la pensée de l’homme, et ses modes de vie. Plus tard les premiers monuments mégalithiques traduisent une volonté de marquer le paysage et matérialisent une pensée religieuse qui va bien au-delà de la simple réalité géologique. Enfin, à partir du début de notre ère, et surtout du Moyen-Age central, la pierre s’impose peu à peu dans la construction. Elle devient alors le support et l’expression visuels du pouvoir, celui des vivants dans les manoirs et châteaux, celui des morts dans les nécropoles et cimetières, celui des dieux dans les temples et églises.

Jean-Claude Meuret, MdC à la retraite, Université de Nantes

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