Le Journal de Julien Mars :
une source pour faire l’histoire de Lassay à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle.
par Arnaud Paucton.
À la fin du XVIIIe siècle, Julien Mars (1740-1823), cordonnier et sacriste à Lassay, prend la plume afin de noter des événements qu’il a vécus. Ses écrits, poursuivis après sa mort jusqu’en 1836, sont connus localement au début du XXe siècle, sous le nom de « Journal de Julien Mars ». Ce document est utilisé par plusieurs érudits locaux (abbé Lefebvre, abbé Gillard, abbé Leudière, Suzanne Grard) ayant écrit sur l’histoire de Lassay, avant de tomber dans l’oubli. La redécouverte et l’étude de ce document permettent aujourd’hui de le replacer dans les écrits du for privé et d’apporter un témoignage de première importance sur Lassay à cette époque.
Un document familial…
Une longue recherche n’a pas permis de retrouver le « Journal ». Cependant, elle a permis de retracer sa transmission familiale. Lorsqu’il décède en janvier 1918, Arsène Mars, cordonnier et membre du conseil paroissial de Lassay, arrière-arrière-petit-fils de Julien Mars, est en possession du manuscrit de son ancêtre. Sa veuve, continue d’habiter à Lassay jusqu’à la fin des années 1930 au moins, puis décède à Caen en 1943. Le manuscrit est sans doute transmis à l’un de leurs six enfants : une des cinq filles ou plus vraisemblablement à Julien Mars (1911-1988). Les potentiels héritiers de ce dernier ont été contactés, sans succès. Nous ne savons donc pas si l’original existe encore aujourd’hui ou bien s’il a disparu.
… connu par des sources indirectes
Heureusement, deux sources permettent d’en connaître le contenu. La première consiste en deux petits carnets (12cm x 18cm, 126 pages) sur lesquelles figurent une copie anonyme du « Journal du Julien Mars ». Cette copie semble fidèle bien que l’orthographe ait été modifiée – une dizaine d’événements seulement sont mentionnés comme transcrit avec l’orthographe originale – et que quelques commentaires aient été ajoutés entre parenthèses. Les deux carnets sont utilisés entièrement et un troisième carnet (disparu) devait exister (utilisé au moins sur une trentaine de pages). La seconde source est constituée de bulletins paroissiaux qui publient des extraits du « Journal » entre juillet 1915 et janvier 1918. Cette source est moins fidèle que les carnets : les phrases ont été reformulées afin de les rendre plus synthétiques et plus aisées à la lecture. Cependant, des événements qui ne figurent pas dans les carnets (3e carnet disparu ?) y sont évoqués.
Un auteur, des auteurs
L’auteur a clairement indiqué sa date de naissance à trois reprises en écrivant « je suis né le 20 janvier 1740 ». Il mentionne également plusieurs fois son âge : « la chapelle du couvent de Lassay a été bâtie dans l’année 1749 ; j’étais âgé de 9 ans » ou encore « je suis bien âgé » lorsqu’il décrit la procession du lundi de Pentecôte 1818. Autant d’éléments qui permettent d’attribuer la grande majorité des écrits à Julien Mars (1740-1823). Contenant des informations sur des événements survenus après sa mort, et ce jusqu’en 1836, le « Journal » ne peut être uniquement l’œuvre de Julien Mars. Une étude fine du « Journal » et une étude généalogique ont permis de déterminer que ce sont ses deux fils, René Stanislas et Pierre Mars, qui ont poursuivi conjointement la rédaction. Après le décès de René Stanislas, en 1836, Pierre cesse d’écrire. Ce dernier n’ayant pas d’enfant le manuscrit retourne alors dans la branche aînée à laquelle appartient Arsène Mars. Ne disposant de l’original, il est impossible de déterminer qui a écrit tel ou tel événement : on peut cependant dire que Julien Mars en est l’auteur principal puisque seulement 15% des événements consignés sont survenus après sa mort.
Et Julien Mars prît la plume…
Julien Mars ne donne pas explicitement les raisons qui l’ont poussé à rédiger. Il semble qu’il ait souhaité coucher sur le papier les événements ou les personnes qu’il a connu au cours de sa vie et témoigner d’événements qui sortent de l’ordinaire. Il a souhaité que son récit puisse être lu et a décidé de l’organiser (numérotation, renvois, tables…) mais cette organisation n’est ni chronologique, ni thématique. Cette absence de chronologie permet d’indiquer qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un « journal » : il s’agit plutôt d’une compilation d’événements vécus, rapportés ou lus dans des livres et almanachs. La première mise en forme des écrits semblent être intervenue autour de septembre 1817, mais il est certain que l’auteur a commencé à prendre des notes à partir de la fin de la décennie 1780. Le fait de produire un récit nécessite, de savoir lire et écrire, mais traduit surtout une pratique régulière de l’écriture ce qui constitue une caractéristique assez rare dans les milieux populaires et le monde rural à l’époque : s’il n’est pas unique, Julien Mars reste donc une exception.
Le contenu du « Journal de Julien Mars »
Le « Journal de Julien Mars » apporte des informations très variées sur trois grandes thématiques. La première concerne les événements politiques de 1789 à la Monarchie de Juillet. On y trouve notamment le récit des débuts de la Révolution : « on nous a fait prendre la cocarde tricolore […] et vive la Nation ! » ; une critique des excès des révolutionnaires : « tous ces brigands ils se faisaient nourrir en viandes rôties ; il leur fallait du vin et de l’eau de vie et leur donner tout ce qu’ils demandaient » ; ou encore le retour de Louis XVIII le « roi Désiré ». La deuxième thématique est la religion qui apporte des informations sur les ordinations de prêtres, le mobilier de la chapelle Notre-Dame du Rocher et de l’église de Saint-Fraimbault-de-Lassay, les cloches, les croix, les changements liturgiques, les fêtes religieuses, les jubilés, les missions, les processions, couvent des bénédictines… Profondément croyant, il n’hésite pas à faire de Dieu la source de toutes choses comme lorsqu’il écrit en 1812 : « le Bon Dieu est fâché contre son peuple par la grande dizette du pain ; nous sommes tous des mauvais ouvriers à son égard, prions et nous aurons une meilleure année, nous vivons tous sur sa miséricorde et qu’il répande sa bénédiction sur tout son peuple infidèle à ses commandements ». La troisième thématique concerne la vie quotidienne et regroupe des informations sur les propriétaires du château, la construction de maisons, l’aménagement de la ville et l’ouverture de routes et de chemins, l’agriculture, la météo et le commerce, les épidémies, les phénomènes naturels, des faits divers ou encore les écoles et la réouverture du collège après la Révolution : « Le jeudi 27 juillet 1820, Monseigneur l’évêque du Mans a donné la confirmation à Lassay. Il était content des habitants de notre ville qui le reçurent avec honneur « comme il le méritait bien ». En récompense, Mgr l’évêque établit un collège dans notre ville ».
Publier les écrits de la famille Mars aujourd’hui.
Le travail mené, depuis 2003, sur les écrits de la famille Mars s’est appuyé sur la consultation de plus de 200 références bibliographiques et plus de 700 cotes d’archives. Espérons ce travail aboutira prochainement par le biais d’une publication qui permettra de faire connaître au plus grand nombre le témoignage de la famille Mars et l’environnement dans lequel ils ont vécu : Lassay dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle.