R Pigeaud

Actualité des recherches préhistoriques dans les grottes de la vallée de l’Erve

Par Romain Pigeaud (Docteur en archéologie UMR 5198 du CNRS, département de préhistoire du MNHN)

Romain Pigeaud
Toutes les parois de la grotte Margot sont ornées

 La grotte Margot (Thorigné-en-Charnie) est connue depuis toujours. Longue de près de 400 mètres, elle est, avec la grotte René-Paul, la plus grande cavité du « canyon » de Saulges. Nous prospectons ses parois depuis 2002, dans le cadre du programme « Occupations paléolithiques de la vallée de l’Erve » de l’UMR 6566 du CNRS de l’Université de Rennes-1, coordonné par Jean-Laurent Monnier, avec le concours du Conseil Général de la Mayenne.

Le « chêne pétrifié » et une légende noire attirent 20 000 visiteurs par an

 Il s’agit de la cavité la plus visitée du site (près de 20 000 visiteurs par an). Les touristes sont attirés par les concrétions stalagmitiques d’une forme amusante (le «  chêne pétrifié ») et surtout par la légende noire de la « fée Margot ». Mentionnée pour la première fois en 1701, l’entrée de la cavité devait être connue depuis très longtemps. La grotte était d’accès difficile : l’orifice de l’entrée avoisinait les 50 centimètres; il fallait ramper ensuite à plusieurs endroits. D’après les textes, de nombreux accidents tragiques semblent d’ailleurs s’être déroulés dans la cavité. La grotte Margot est la cavité qui a le plus souffert, et des fouilles anciennes, et de l’exploitation touristique. Les anciennes fouilles qui y furent intensément pratiquées ont révélé la présence de Moustérien (dont, en Europe occidentale, l’artisan est Néandertal), d’Aurignacien, de Solutréen et de Magdalénien, ainsi que d’une tanière d’hyène et d’un repaire d’ours. Le plancher stalagmitique sur lequel évoluaient les hommes du Paléolithique supérieur a été brisé. Si bien que, dans la plupart des salles et des couloirs, les représentations se situent au-dessus du visiteur, ce qui a contribué à les préserver. Margot semble avoir été une grotte couloir, où la progression se faisait en rampant (comme autrefois dans les Combarelles 1, en Périgord, ou aujourd’hui encore, dans la grotte de Pergouset, dans le Lot). Le visiteur ne pouvait se relever vraiment que dans quelques salles, distantes entre elles de plusieurs dizaines de mètres. La cavité s’achevait par une sorte de « précipice », partiellement ennoyé aujourd’hui, où l’on descend maintenant par un escalier taillé dans la pierre.

 

98 unités graphiques

En 2005, nos efforts ont été couronnés de succès : la grotte Margot est la deuxième grotte ornée de la Mayenne. La neuvième au nord de la Loire, avec Mayenne-Sciences (Mayenne), Gouy et Orival (Normandie), la Grotte du Cheval et la Grande Grotte à Arcy-sur-Cure (Bourgogne), les abris du Croc-Marin, Boutigny et les Trois Pignons en Essonne.

La grotte Margot comporte désormais 98 unités graphiques, qui se répartissent comme suit : 69 représentations figuratives et abstraites; 18 traces noires (traits et ponctuations) ; 3 traces rouges (traits) ; 8 tracés digitaux (3 mains positives et 5 mains négatives). Nous proposons de classer l’inventaire en deux ensembles: des peintures, attribuées au Gravettien (environ 25 000 ans), avec des mains positives et négatives, un bison et un cervidé ; des gravures fines et détaillées, attribuées au Solutréen et/ou au Magdalénien (entre 20 000 et 12 000 ans), avec 7 chevaux, 6 rhinocéros laineux, 2 oiseaux, 1 renne, 1 aurochs, 2 anthropomorphes et un sexe féminin.

Rhinocéros laineux (Ph : H Paitier)
Rhinocéros laineux (photo : Hervé Paitier)

 

Rhinocéros laineux (dessin C Dufayet)
Rhinocéros laineux (desssin : C Dufayet)
Nos prospections nous ont permis de conclure que toutes les parois de la grotte sont ornées. Il nous reste encore beaucoup de tracés à mettre au jour, étant donné l’étroite imbrication des traits sur les parois de la galerie du Chêne pétrifié, fruit d’une accumulation comparable à celle que l’on peut observer, par exemple, dans l’Abside de la grotte de Lascaux (Périgord) et dans le Sanctuaire de la grotte des Trois-Frères (Ariège). Certaines gravures sont situées dans des endroits difficiles d’accès et il nous est impossible de les relever pour le moment, à moins de réaliser un moulage de la paroi.

Par ailleurs, l’étude des graffiti modernes, par Jean-René Ladurée et Jean-Pierre Betton, démontre son utilité pour mieux connaître les conditions de circulation dans la grotte avant et depuis son aménagement.

Le premier cygne représenté sur la paroi d’une grotte ornée

Les chevaux sont représentés en pelage d’hiver, avec barbe et toison. Comme attendu, ils possèdent la crinière hérissée des chevaux sauvages. Le graveur les a dotés d’un gros œil rond. Le plus détaillé et le plus complet des trois rhinocéros gravés présente, lui, un œil très expressif. Il est doté d’un énorme garrot et d’une crinière très développée, et semble avoir été gravé à partir d’un ancien tracé (profil d’ours ou de félin). Pareille réutilisation est chose courante dans l’art paléolithique. Les rhinocéros laineux sont assez rarement représentés dans l’art des cavernes, sauf bien sûr à Rouffignac et Chauvet. Les fouilles de la grotte Rochefort ont permis de mettre au jour des molaires de rhinocéros laineux. Il faisait donc bien partie du paysage de la vallée de l’Erve à l’époque préhistorique.

Cheval (ph : H Paitier)
Cheval (photo : Hervé Paitier)

Cheval (Dessin : T Devièse, R Pigeaud)
Cheval
(dessin : T Devièse, R Pigeaud)
Le premier oiseau gravé est un corvidé.

Cette famille était présente dans la vallée de l’Erve, comme en témoignent les restes d’un chocard à bec jaune découverts dans le niveau Tardiglaciaire de la grotte Rochefort. L’absence d’une crête et la faible incurvation du bec nous semblent exclure le grand corbeau. Le bec est trop épais pour être celui d’un crave ou d’un chocard, trop long pour celui d’un choucas. Il nous semble donc que la gravure représente soit une corneille noire (Corvus corone Linnaeus, 1758), soit un freux (Corvus frugilegus Linnaeus, 1758). Il s’agit du quatrième corvidé figuré de l’art paléolithique, avec celui de la plaquette gravée de Gönnersdorf (Allemagne), de la grotte des Trois Frères (Ariège) et peut-être du bloc rocheux de la grotte des Eyzies (Périgord). Le deuxième est un ansériné, dont la tête se trouve juste au-dessous du bec du corvidé. L’animal semble flotter sur l’eau, la ligne de flottaison étant matérialisée par l’arête rocheuse. Pour nous, il s’agit clairement d’un cygne, peut-être même d’un cygne tuberculé (Cygnus olor, J. F. Gmelin, 1789), si l’on accepte de considérer que les deux traits au-dessus de l’œil représentent les contours d’une tubercule. Si notre proposition se vérifie, il s’agirait donc du troisième cygne figuré dans l’art paléolithique, du moins identifié comme tel de façon certaine.

 

En effet, d’autres représentations répertoriées, comme les rondes-bosses de Hohle Fels (Allemagne) et de Mal’ta (Sibérie), ne sont pas clairement diagnostiquées et pourraient fort bien représenter d’autres ansérinés (oies, bernaches), voire, dans le cas d’un statuette de Mal’ta (Sibérie), un Ardéidé (héron). Les deux cygnes inventoriés sont donc celui, sur galet, de Gourdan, et celui, sur os, de Teyjat (Périgord). Le cygne de la grotte Margot est donc le premier cygne représenté sur la paroi d’une grotte ornée. Les autres représentations (y compris celles d’Allemagne et de Sibérie) sont toutes des rondes-bosses ou des gravures mobilières. Au contraire des corvidés, oiseaux sédentaires, le cygne est un oiseau migrateur. Il s’agit d’une espèce d’origine boréale, contrainte de transposer son aire de nidification plus au sud, en raison des périodes glaciaires. A l’heure actuelle, les aires d’hivernage du cygne se situent au nord-ouest de l’Europe. Il est admis, en effet, que ce n’est que pendant leur hivernage que les hommes préhistoriques « français » ont pu apercevoir ces oiseaux. La présence de cygnes en Mayenne, et plus précisément dans la vallée de l’Erve, est une indication supplémentaire de la douceur du climat qui devait régner dans le « canyon » de Saulges, qui servait à cette époque de zone refuge pour tout le Massif Armoricain.

 

Le second art paléolithique mayennais  a-t-il son origine outre-Rhin ?

La découverte des représentations de la grotte Margot relance de ce point de vue la question des influences septentrionales. En effet, c’est tout un ensemble de grottes ornées d’époque tardiglaciaire qui émerge à présent : la grotte de Church Hole, en Angleterre, les grottes de Gouy et d’Orival en Seine-Maritime, les grottes de Boutigny et des Trois Pignons, l’abri du Croc-Marin, en Essonne, la grotte de Hohle Fels, en Allemagne. Quelles sont leurs relations entre elles ? Existe-t-il un rapport entre les territoires symboliques et l’évolution des cultures préhistoriques dans cet espace géographique ? Par ailleurs, la proximité des décors et des styles permettent de rapprocher les gravures de Margot de celles du site de Gönnersdorf (Allemagne). Nul besoin de chercher des influences depuis le sud-ouest, contrairement à Mayenne-Sciences, clairement d’influence quercinoise. L’origine du second art paléolithique mayennais est peut-être à chercher de l’autre côté du Rhin.

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