La nature et les hommes : la construction du paysage rural dans le Bas-Maine
par D. Pichot.
Le paysage rural a largement retenu l’attention depuis quelque temps et pas seulement celle du monde rural ou agricole. Il est devenu un sujet de société, largement controversé et le bocage mayennais en offre un bon exemple
A la recherche du paysage
L’étude du paysage rural remonte à l’Ecole géographique française de la fin du XIXe siècle et la thèse de R. Musset sur le Bas-Maine, publiée en 1917, en constitue un exemple accompli. Aujourd’hui, les historiens ont repris le sujet et recourent aux cartes anciennes, au cadastre, à l’archéologie aérienne et à la palynologie (étude des pollens fossiles). Dans les années 90, à Rennes, un groupe de travail pluridisciplinaire incluant historiens, géographes, agronomes et palynologues se pencha sur la question du bocage.
En sont largement issus les travaux de A. Antoine et de moi-même qui suivaient ceux de J.-C. Meuret, de peu antérieurs. Il en ressortit une critique des vues anciennes qui associaient trop étroitement parcellaire, clôture, habitat, isolement et au terme du travail, le bocage était plutôt interprété comme une construction humaine, fruit du travail des générations qui adaptent à leurs besoins les réalités naturelles et le paysage hérité.
Des temps anciens qui se dévoilent : des origines à la fin du Moyen Âge
Le profil pollinique de Glatinié, site en Changé-les-Laval, met en évidence, dès la protohistoire, une importante mise en culture, avec un épanouissement sous la période gallo-romaine avant un net recul sous le Bas-Empire. Les survols de G. Leroux ont permis de découvrir des dizaines d’enclos de l’Âge du Fer dans le Craonnais que l’on pensait quasi désert.
Avec le XIe siècle, les observations se font plus précises, Rares sont les ensembles parcellaires neufs de grande étendue comme le territoire de La Roë, Le plus souvent, les entreprises médiévales sont de moindre envergure et s’insèrent dans la trame antérieure. Le paysage demeure largement ouvert et les fossés et talus, s’ils existent, demeurent assez rares (13% des confronts des parcelles citées) et enserrent plutôt des ensembles de terres.
L’embocagement
Avec la fin du Moyen Âge, le bocage, c’est à dire un ensemble de parcelles systématiquement closes de haies, fait alors son apparition, il vaut donc mieux parler d’un embocagement.
La construction de fossés accompagnés de haies se multiplie aux XIVe et XVe siècles et cela commence par les terres des puissants, moines et aristocrates divers qui, déjà, avaient posé des jalons. Les clôtures se multiplient autour des manoirs, moyen de se distinguer et de soustraire ses terres aux usages communs. Les haies imposantes ont alors pour but de protéger les parcelles en d’empêchant les animaux d’entrer. Ce paysage, bocage très imparfait, parsemé de landes et de jachères résulte d’un usage très extensif de la terre, usage fort critiqué comme archaïque par les élites mais, en fait, bien adapté à la situation du bas-Maine.
Le triomphe du bocage (XIXe– Ier XXe siècle)
Après la Révolution beaucoup de choses changent mais on peut souligner la fin des communs et celle aussi des landes et jachères conséquence du chaulage des terres. Il en résulte un paysage renouvelé. Le bocage se généralise mais il est aussi plus fermé, les haies deviennent plus hermétiques-le fil barbelé intervient-et désormais les animaux sont empêchés de sortir, le sens de la haie est inversé. En même temps, la fin des communs accroît sans doute un peu l’isolement qu’il ne faut cependant pas exagérer.
Le paysage rural actuel est donc le résultat des relations des hommes avec leur terre. On peut y lire le travail des différentes générations.
Le paysage intègre tous ces héritages et les adapte. Le paysage est une histoire.
Daniel Pichot