Moulins et carteries de Sainte-Suzanne, par Vincent Houllière
L’intervention de M. Vincent Houllière sur l’industrie papetière à Sainte-Suzanne a été suivie par une visite de l’exposition architectures de papier au CIAP ou par une visite du Grand Moulin reconverti dans la fabrication du papier selon les méthodes traditionnelles.
Troisième patrimoine de France en nombre de bâtiments, après les églises et chapelles et les châteaux et manoirs, les moulins marquent notre héritage patrimonial et historique.
La première mention de l’industrie papetière apparaît à Sainte-Suzanne vers 1544. Rapidement, le territoire devient, avec sept moulins à papier en activité jusqu’au milieu du 19e siècle, le centre papetier le plus important du Maine. Avant de nous inviter à visiter le Grand Moulin, Vincent Houllière s’est attaché à raconter l’aventure de cette activité qui se spécialise vers la production de la carte à jouer au cours du 18e siècle.
Sainte-Suzanne, regroupait à elle seule jusqu’à 22 moulins, ce qui en fait la concentration la plus dense en France, d’après Alain Eyquem, président de la Fédération des Moulins de France. Sur la carte de Cassini, ils sont mentionnés globalement sous l’appellation de Mns Papetries (Moulins et Papeteries). Il est conseillé de ne pas commencer la promenade des moulins au niveau de la rivière mais dans la cité médiévale, ensemble d’hôtels particuliers et de maisons plus modestes blottis sur le flanc ouest du château. Ces maisons aux façades remaniées entre les 16e et 18e siècles sont les témoins de l’important essor économique qu’a connu la « ville » de Sainte-Suzanne pendant cette période. Le titre de ville lui est accordé par lettres patentes de Louis XIV avec autorisation de six foires annuelles. La ville haute était donc le rendez-vous des artisans et marchands des environs pour des affaires florissantes enrichissant la petite cité. Ils s’approvisionnaient dans les 22 moulins qui jalonnaient l’Erve à Sainte-Suzanne. Les boulangers y trouvaient la farine dans les moulins à blé, les cartiers les ramettes dans les moulins à papier, les bourreliers, selliers, maroquiniers et chausseurs, le cuir dans les moulins à tan, les tailleurs, le drap de laine dans les moulins à foulon et on mentionne aussi un moulin à huile et un moulin à tabac. Sainte-Suzanne était alors le principal centre papetier du Maine et une puissante famille se distinguait économiquement : les Provost-Dubois, dont les générations successives possédaient la plupart des moulins à papier et la ou les carteries du bourg.
L’Erve, affluent de la Sarthe à Sablé-sur-Sarthe, qui prend sa source à Vimarcé a compté jusqu’à 50 moulins. Au niveau de la commune de Sainte-Suzanne, qu’elle traverse sur 2 km avec une dénivelée de 20 mètres, elle comptait 22 moulins dont il reste 17 bâtiments transformés majoritairement en maisons d’habitation. Six moulins possèdent encore leur roue dont quatre qui tournent.
Sur les bords de l’Erve on identifie :
-
Feuillaume ou feu Guillaume, moulin à farine.
-
La Liaudière.
-
Le Moulin au Vicomte ou Grand Moulin, ancien moulin banal, a fonctionné jusqu’en 1950 pour la farine. Il a entièrement été restauré : mécanisme à l’anglaise d’origine pour le blé, ajout d’un mécanisme à papier avec arbre à cames et piles.
-
Le Pont Neuf, moulin à papier, à foulon, à farine. Il possède une grande roue extérieure.
-
La Roche du Pont neuf, moulin à foulon. Caractérisé par son île artificielle séparant rivière et canal d’amenée.
-
Les Choiseaux supérieur, moulin à farine.Les Choiseaux inférieur, 15e siècle, moulin à farine.
-
Le Closeau du Choiseau, moulin à papier aujourd’hui disparu. Une chaussée barre la rivière pour alimenter le bief des Choiseaux qui dessert les 3 moulins des Choiseaux transformés en fermes.
-
Le Moulin Neuf, 15e siècle, devenu La Mécanique en 1839, moulin à papier, puis à farine puis scierie.
-
Le Gohard supérieur, moulin à farine.
-
Le Gohard inférieur, moulin à farine, à papier, à tan.
-
Château Gaillard, moulin à tan. Le bief du Gohard alimente les 4 moulins ci-dessus.
-
Le Moulin aux Lièvres, moulin à tan.
-
La Sauvagère ou Saugère, moulin à papier puis à farine.
-
Les Noës, moulin à farine.
-
Le Pont aux Pieux, aujourd’hui disparu.
-
Le Bouvion ou Bourg Guyon.
-
La Poupinière, moulin à papier puis à farine.
-
La Patache, moulin à papier puis à farine.
-
La Haute et la Basse Pépinière, moulins à papier au 18e siècle.
En 1771, sept moulins à papier sont en activité et produisent 3000 rames de papier soit 1 500 000 feuilles.
Aux 17e et 18e siècles, les ouvriers papetiers viennent parfois de loin. Entre 1685 et 1750 ont été recensés : Paul Guautiteaux, de Saint-Hilaire (Bas Poitou), Philippe Lacroix (Angoumois), Pierre Guernet (Normandie), Jérôme Augeard (Auvergne), Jean Demas (Périgord), Jacques Violet de Montfaucon, Catherine Christophe de Lisieux, Jean Esnault de Chartres, Louis Giton de Cormery (Touraine), Pierre Cousin de Chantenay.
En longeant les biefs on comprend la nécessaire régulation physique des débits et le droit du bon usage de l’eau. Ces hauteurs légales sont issues de droits féodaux et oraux marqués par des pierres dites « de meunier ». Ces pratiques ont été formalisées et réglementées à la Restauration et servent toujours de droits, appuyés par la notion de « fondé en titre » pour avoir une activité liée au moulin. Un droit fondé en titre, concédé pour une période illimitée, est attaché à un ouvrage et non à son propriétaire.