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La revue n° 30
Pratiques funéraires et patrimoines d’éternité : l’Homme face à la mort
Par Stéphane Hiland
Le cimetière de Vaufleury à Laval : un musée d’art funéraire à ciel ouvert |
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Genèse des cimetières lavalloisDes fouilles archéologiques ont permis de déterminer l’existence de sépultures datant de l’époque mérovingienne sur des sites lavallois (Pritz, les Merceries). Par la suite, au moyen-âge, les cimetières accompagnent le développement urbain et s’organisent autour des grands centres paroissiaux. Laval compte alors cinq cimetières principaux comme celui de la Trinité situé rue des Fossés ou celui de Saint Vénérand au chevet de l’église du même nom. Ces derniers seront fermés pendant la Révolution, les morts étant inhumés sans cérémonie dans une fosse commune ouverte sur les landes de la Croix-Bataille. Au XIXème siècle, en réponse au décret de Napoléon, on décide la création d’un unique cimetière situé en périphérie de la ville. Les autorités municipales choisissent le site de la Guettière (à l’emplacement actuel des archives départementales) qui est ouvert aux inhumations à partir de 1807. Néanmoins, face aux problèmes d’exiguïté du lieu ainsi que de la nature argileuse du terrain qui ne favorise pas la décomposition rapide des corps, il est abandonné en 1882 au profit d’un site disant de quelques centaines de mètres : Vaufleury. Plus vaste que son prédécesseur, ce nouveau cimetière se développe sur un espace de 7,5 hectares dont les limites sont matérialisées par les routes de Paris et du Mans. |
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Un musée d’art funéraireSi les monuments érigés à des dates récentes répondent bien souvent à des modèles stéréotypés, il n’en est pas de même pour les tombeaux plus anciens qui témoignent de la vitalité de l’art funéraire au XIXème siècle. Ainsi est-il possible de découvrir dans les allées de Vaufleury nombre de petits chefs d’œuvre représentatifs de ce courant dynamique. De la stèle sculptée à l’image d’une pleureuse comme celle de Léopold Ridel, en passant par le sarcophage ou les colonnes ornées d’urnes cinéraires* de la famille Souchu-Servinière, quelques monuments adoptent un style propre à rappeler des références antiques. En parallèle, se développe également un mouvement historicisant caractérisé par l’élévation de chapelles funéraires inspirées des cathédrales du moyen-âge. Certaines reçoivent un décor élaboré de motifs historiés ou de chapiteaux sculptés dignes de pouvoir figurer dans n’importe quelle édifice roman ou gothique. Les gisants sont par contre totalement absents du site, à l’exception du remarquable tombeau du petit Paul-Marie Batard, représenté en sommeil sous la forme d’une émouvante statue de marbre blanc.
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Chapelle funéraire de la famille Arché |
Chapelle funéraire de la famille Hébert-Penlou |
Sépulture du père Coince |
Monument aux morts de 1870 |
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Monument de la famille Bordeaux-Le Pecq |
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Vaufleury, chef d’œuvre de Ridel L’architecte Léopold Ridel, auteur d’autres grands projets urbains lavallois comme le musée des Beaux Arts, le jardin de la Perrine ou la chapelle Saint-Julien, se voit confié la réalisation des aménagements du cimetière Vaufleury. Il va composer le plan de celui-ci sur le modèle régulier d’une ville antique. L’entrée principale sur la route de Paris se présente sous la forme d’une grande avenue rectiligne bordée de séquoias. L’emploi de ces résineux, capables de vivre jusqu’à 1.000 ans, est à percevoir comme une référence symbolique à l’éternité. Cette dernière est également clairement évoquée dans l’œuvre de l’architecte par les torchères sculptées du portail ou le décor de rameaux qui orne les pavillons destinés à recevoir le logement du gardien et l’administration du cimetière. A l’intérieur de l’enceinte séparant la nouvelle nécropole du monde des vivants, Ridel trace deux grandes avenues perpendiculaires, elles mêmes coupées par des allées plus petites, divisant ainsi l’espace en huit carrés de même surface. Au cours du XXème siècle, ceux-ci sont peu à peu colonisés par les dernières demeures de nombreux Lavallois. A ce jour, Vaufleury accueille 12.000 sépultures pour 66.000 corps inhumés, dont celui de Léopold Ridel lui même qui trouva le repos en ce lieu après sa mort en 1910.
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Le cimetière de la Guettière (plan de 1878) |
Tombeau de Jean-Pierre Bouvet |
Le cimetière de Vaufleury (plan de 1912)
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Une galerie de personnages illustresSi Rousseau, Jarry ou Tatin ne s’y trouvent pas enterrés, le cimetière de Vaufleury réserve cependant au visiteur de passage quelques rencontres privilégiées avec de célèbres artistes lavallois. Parmi ces derniers, on notera plus particulièrement la présence du peintre Jean-Baptiste Messager, témoin des bouleversements urbains que connut Laval au XIXème siècle, et du maître-verrier Alleaume, dont le curieux tombeau est orné d’un petit menhir prompt à rappeler ses origines bretonnes. L’art naïf est également à l’honneur avec des personnalités comme Andrée Bordeaux-Le Pecq, galeriste et mécène qui participa activement à la création du musée, ou Jean-Pierre Bouvet, premier conservateur de cet établissement, qui dressa les plans de sa dernière demeure comme une œuvre d’art originale couverte de tesselles colorées.
D’autres grandes personnalités s’y côtoient également comme les historiens Couanier de Launay, auteur d’une histoire de Laval publiée en 1866, ou Félix Grat, membre de l’école française de Rome mort au champ d’honneur en 1940. Au milieu de ces grands noms, il est cependant surprenant de constater que la tombe la plus visitée du cimetière est sans doute celle d’un obscur jésuite décédé en 1833 . Ayant laissé le souvenir d’un saint homme, le père Coince est aujourd’hui toujours vénéré et son intercession sollicitée à l’égard des petits enfants souffrant de maux divers. A lui seul, ce tombeau témoigne de la déférence des vivants à l’égard des morts et de la survivance de leur souvenir en ce jardin du repos éternel que demeure le cimetière Vaufleury. |