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Dans un monde chrétien est en plein questionnement et en quête de perfection, Robert de Molesmes fonde à la fin du 11e siècle l’abbaye de Cîteaux. Le succès spirituel est immédiat. À la fin du 12e siècle, l’ordre cistercien comprend déjà plus de 200 abbayes à travers toute l’Europe. Créée par essaimage, la majorité de ces établissements monastiques répond à un processus fondateur bien établi. L’étude de ND de Clairmont, première abbaye cistercienne fondée dans le Bas-Maine, illustre ce schéma opératoire et permet ainsi de découvrir les grandes étapes qui font la genèse d’un monastère de l’ordre de Cîteaux.
Les acteurs d’une fondation
Dans le cadre d’une création par essaimage, la fondation d’une abbaye cistercienne est en premier lieu le fruit d’une rencontre entre deux acteurs majeurs à savoir, d’une part, une abbaye suffisamment importante pour essaimer et donc assumer le statut d’abbaye de mère et, d’autre part, un donateur laïc ou religieux.
Dans le cas présent, il s’agit de l’abbaye de Clairvaux, dirigée alors par saint Bernard, et de Guy, « cinquième seigneur de Laval ».
Les motivations du baron lavallois sont avant tout pieuses. Il s’agit pour lui d’œuvrer au salut de son âme et de celles des membres de son lignage. Par cette fondation, il se fait également le promoteur de la réforme grégorienne dont l’ordre cistercien est issu. Mais, la volonté de créer une abbaye fille de Clairvaux répond également à des fins politiques. Au milieu du 12e siècle, alors que les comtes d’Anjou tendent à affirmer leur autorité sur la région, une fondation de ce type permet à Guy V de Laval d’asseoir encore davantage son autorité sur ces confins entre Maine, Anjou et Bretagne. Première abbaye fondée par la maison de Laval, ND de Clairmont sacralise leur autorité. Elle constitue en outre une nécropole magnifiant leur lignage. Elle leur permet par ailleurs de renforcer leurs liens avec leurs vassaux comme en attestent les nombreux dons consentis par ces derniers au nouvel établissement.
Le choix du site
Le site choisi doit, dans la mesure du possible, répondre aux idéaux spirituels et matériels de l’ordre. Il doit notamment garantir à la future communauté de mener une vie d’ascète et de pouvoir s’approvisionner aisément et en quantité suffisante en eau et en bois. Les fonds de vallon boisés forment à cet égard des déserts sylvestres privilégiés. Si les donateurs ne s’opposent que très rarement à la concession de ces terres généralement ingrates, non mises en valeur et nécessitant d’importants travaux de défrichement ou d’assainissement, leur « générosité » dépasse bien souvent l’attente des moines. Ce fait explique que la moitié des abbayes fondées subissent un transfert dans leurs premières années.
Première abbaye fondée par les Laval destinée à devenir leur nécropole, ND de Clairmont a bénéficié d’une implantation privilégiée. Le site retenu est localisé au cœur de leur principal domaine qui s’étend de Laval à la Bretagne et qui est alors recouvert par un imposant massif forestier dit de Frageu. Il répond parfaitement aux critères cités : situé au fond d’un vallon boisé et arrosé par un important affluent de la Mayenne, le Vicoin, il occupe un carrefour entre quatre paroisses, à l’écart des principaux centres humains.
Pour autant, ce site représente-t-il le site primitif de l’abbaye lavalloise ? Le toponyme même de site (« clarus mons », « clair mont ») permet d’en douter, qui plus est lorsqu’on connaît le caractère généralement littéral des toponymes cisterciens (Bellevaux, Valbonne, Froidmont etc.). Or, la charte de fondation mentionne un second site associé à l’abbaye. Il s’agit d’une « grange » que différentes sources permettent de placer à Brichardon. Située à proximité immédiate de l’abbaye (1,6 km), son existence peut interroger. Occupant une hauteur, elle pourrait constituer le site primitif de l’établissement.
Datation du processus fondateur
La création d’un monastère cistercien résulte d’un processus fondateur qui peut schématiquement comprendre les étapes suivantes : un terrain est concédé par un puissant sous la forme d’une donation verbale ; un petit groupe de moines est envoyé afin de constituer les éléments nécessaires à la vie monastique (cadre spirituel, moyens de subsistance) conformément aux statuts de l’ordre ; l’abbatiale et le cimetière sont consacrés ; enfin, une charte de fondation entérinant l’achèvement de ce processus est rédigée et signée par l’abbaye, le donateur et leurs témoins respectifs.
ND de Clairmont obéit à ce type de processus puisqu’elle dispose déjà lors de la rédaction de la charte de fondation de son abbaye, d’une grange ou encore d’un étang. Cette charte et ses différents signataires permettent d’établir que le processus clermontois intervient entre 1143 et 1152.
Un paysage cistercien
Les vestiges et le paysage de l’abbaye de Clairmont témoignent, aujourd’hui encore, de cette genèse. Au cœur d’un terroir constitué de forêts et de grandes parcelles obtenues par des défrichements radio-concentriques, l’abbaye présente un plan représentatif du plan bernardin qui prévaut au sein de cet ordre. |