Les églises rurales du premier Moyen Âge (Ve-XIe siècle)dans l’ancien diocèse du Mans et ses confins par A. Valais
La zone étudiée concerne la Sarthe et la Mayenne, deux départements qui, avant la Révolution, appartenaient à l’ancien diocèse du Mans. Seuls, le sud de la Mayenne et les franges méridionales de la Sarthe relevaient de celui d’Angers.
Dans ce périmètre où toutes les églises ont été visitées, 297 jugées comme antérieures au début du XIe siècle ont fait l’objet d’une notice. Avec cette masse de données à analyser, des critères de comparaison communs au plus grand nombre de bâtiments ont été sélectionnés. Ainsi, 135 fenêtres à linteau échancré, une cinquantaine à arc clavé répartis sur autant de sanctuaires, près de 120 portions d’1 m2 de parements, des chaînes d’angle et des organes de passage ont été photographiés et dessinés à l’échelle. Les plans des églises les mieux conservés sont venus compléter ces travaux d’uniformisation des données.
En confrontant tous ces éléments, des évolutions dans la forme des fenêtres et dans la manière de construire un mur se sont imposées. On remarque en effet que le soin apporté aux maçonneries décroit entre le Xe et le début du XIIe siècle alors que les fenêtres à linteau échancré, type de baie le plus fréquent, sont de plus en plus élancées.
Pour les ouvertures à arcs clavés, ces variables de gabarit sont comparables, mais d’autres critères doivent être mobilisés, comme les jeux chromatiques entre matériaux, l’emploi de la terre cuite et les variations dans la facture des arcs et des piédroits. Ces caractéristiques s’appliquent aussi aux chaînes d’angle et aux organes de passage.
Les variations relevées dans la manière de réaliser un mur permettent de distinguer plusieurs types de parement, du plus régulier (type A) à base de petits moellons carrés disposés en rangées horizontales, au moins soigné (type D) monte à l’aide de blocs aux formes irrégulières répartis sans ordre. S’y ajoutent les types E et F qui rassemblent les parements où l’Opus Spicatum est mis en œuvre occasionnellement ou de manière systématique.
Les fenêtres à linteau échancré ont été partagés en 5 groupes morphologiques, les baies les plus modestes du groupe 1 ne dépassant pas 60 cm de hauteur et à l’opposée, les plus élancées du groupe 5 mesurant plus d’1 m. La répartition des fenêtres à arc clavé suit des critères assez comparables.
Si l’on confronte les 5 groupes de fenêtres à linteau échancré avec les différents types d’appareils, on observe que les parements de type A, les plus réguliers, accompagnent surtout les fenêtres des deux premiers groupes alors qu’il n’en existe aucun associé aux fenêtres du groupe 5. Il en est de même pour les appareils de type B dont le nombre décroît progressivement pour devenir minoritaire parmi les fenêtres des groupes 4 et 5. À l’opposée, les appareils les plus médiocres (type C et D) sont minoritaires parmi les fenêtres les plus petites (groupe 1 et 2) alors qu’ils deviennent les plus nombreux dans les groupes de baies (groupes 4 et 5) les plus élancées.
De la même façon, les ouvertures à arc clavé ont été réparties en 4 groupes morphologiques tandis que les portails et les portes l’étaient respectivement en 3 et 5 ensembles.
Si ces démonstrations permettent de proposer des typologies pour chacun des éléments, la recherche de données de chronologie absolue s’est rapidement imposée. Les sources écrites faisant défaut, une campagne de datations 14C de charbons de bois prélevés dans les mortiers de construction a été engagée avec une cinquantaine d’analyses répartie sur 40 bâtiments différents.
Les résultats confirment les tendances observées. Concernant les appareils, les 9 datations réalisées sur des parements de type A offrent toutes des fourchettes de probabilités antérieures à 1045 ; le plus ancien, Moulay, remonterait même au VIe/début VIIe siècle. Pour les 16 parements de type B qui ont été datés, 13 montrent des probabilités très fortes (94,5%) d’être antérieurs à 1027, les autres étant tous antérieurs au milieu du XIe siècle. Pour les 6 parements de type C et D, tous sauf 1 sont postérieurs à 1016.
À la lumière de cette campagne de datations, 5 groupes chronologiques de fenêtres à linteau échancré sont proposés. Les fenêtres les plus petites (groupes chronologiques 1 et 2) sont bien les plus anciennes avec des exemplaires qui apparaissent dès le Xe siècle. Certaines pourraient avoir été mises en place dès la fin du IXe siècle et les plus récentes au début du XIe siècle. Les fenêtres du groupe 3 dateraient du dernier quart du Xe siècle et de la première moitié du XIe siècle, les fenêtres du groupe 4 du second et du troisième quart du XIe siècle et celles du groupe 5 du dernier quart du XIe siècle et du premier quart du XIIe siècle.
Les fenêtres à arc clavé se répartissent en 4 groupes chronologiques. Les plus trapues appartiennent aux IXe et Xe siècles alors que le groupe le plus récent (fin du XIe ou du début du siècle suivant) rassemble les baies les plus élancées.
Aidé de ces éléments de chronologie des cartes de répartition d’églises par période peuvent être proposées.
Les plus anciennes églises sont aménagées autour du VIe siècle dans des bâtiments romains comme Entrammes, Jublains en Mayenne, Athenay, Savigné-l’Evêque et Verneuil-le-Chétif en Sarthe et Souday en Eure-et-Loir. La nef de Saint-Martin de Moulay pourrait remonter entre le VIe et les débuts du VIIe siècle comme le suggère une datation 14C. De nombreux sanctuaires en bois accompagnaient sans doute ces rares églises maçonnées. Si l’on confronte celles mentionnées par les actes des évêques du Mans aux découvertes de sarcophages sous les villages et aux vocables anciens de ces églises, 450 lieux de culte ont pu exister au milieu du VIIIe siècle sur les 840 paroisses d’Ancien Régime.
Trois édifices des VIIIe/IXe siècle subsistent à Pritz, siège d’un monastère attesté au VIIIe siècle, à Saulges, sanctuaire mentionné au IXe siècle et à Saint-Pavace où un monastère est fondé en 835 par l’évêque du Mans Aldric.
Au total, ce sont une soixantaine d’églises, presque uniquement des édifices ruraux qui conservent des restes antérieurs à l’An Mil. Les découvertes de sarcophages comme les sources d’archives mérovingiennes y sont fréquentes.
Les 31 églises construites entre la fin du Xe et la première moitié du siècle suivant constituent une phase importante de construction et l’absence de mentions mérovingiennes dans les textes et de sarcophages permet de soupçonner pas mal de « sanctuaires nouveaux ».
Les 65 Églises du second et troisième quart du XIe sont les plus nombreuses. Représentant 28,65% du corpus, elles sont construites en seulement un demi-siècle. Peu de sarcophages sont mentionnés sur ces sites qui n’apparaissent dans les textes qu’assez tardivement. Beaucoup doivent être des églises neuves…Parmi cet ensemble, les bâtiments plus vastes liés à des fondations prieurales se multiplient à partir de 1050. Des chantiers sont alors engagés avec des reconstructions d’églises. Ces travaux ne touchent souvent que les chevets, les nefs antérieures étant souvent épargnées
Les églises du dernier quart du XIe et du premier quart de XIIe représentent une quarantaine d’unités (20% du total) et les grands édifices sont toujours plus nombreux. Parmi ce groupe, peu sont attestés au haut Moyen Âge et une part importante de ces sites constitue des créations ex nihilo.
Ce travail de recherche systématique sur une vaste région a permis de reconstituer un paysage monumental antérieur au XIIe siècle. Contrairement aux régions voisines, qu’il faudrait néanmoins prospecter plus finement, le Maine et ses confins n’ont pas connus les vastes phases de reconstruction des XIIe et XIXe siècles observés ailleurs.
Le grand nombre d’édifices conservés et les séries d’éléments structurels étudiés, ont offert la possibilité de mieux caractériser ces sanctuaires ruraux et leur évolution entre le VIe et le début du XIIe siècles. Le niveau de christianisation des campagnes permet d’être abordé tout au long du premier Moyen Âge et d’évaluer le rôle de l’Evêque, des élites laïques et enfin des abbayes les plus puissantes dans le mise en place et les reconstructions de ce paysage monumental, en plus d’établir une cartographie de l’occupation humaine et de son évolution tout au long de la période.
Enfin, l’étude systématique de ces églises devrait offrir un outil à leur protection car beaucoup font l’objet de travaux qui viennent souvent en dénaturer les vestiges les plus anciens.
Alain Valais