De la paroi de pierre au papyrus, puis au parchemin :
la naissance de l’écriture dans le bassin méditerranéen
par M. Gérard Morteveille.
Pendant 99% de l’Humanité, l’homme et la femme ont été chasseurs, pêcheurs et cueilleurs. Il y a 12 000 ans seulement, les humains, au nombre de quelques centaines de milliers, nomadisaient par petits groupes. L’apparition de l’agriculture, et la sédentarisation ont entraîné le besoin de communication entre groupes humains, puis entre les différentes cités et aussi à l’intérieur d’une cité-Etat, jusqu’à devenir un royaume, comme en Egypte où il a fallu communiquer entre le nord et le sud.
Parler de l’écriture, c’est parcourir ce temps, et comprendre l’évolution de la construction de l’écriture, de l’alphabet, des phonogrammes, chez plusieurs peuples différents, mais qui ont tous accompli la même démarche. Les 4 000 années avant notre ère furent un bouillonnement de contacts entre des civilisations voisines au sein de tout le bassin méditerranéen (Egypte, Moyen-Orient, Phéniciens, Grecs, Romains…). De grandes découvertes s’effectuèrent dans cet espace-temps, comme l’invention de la roue en -3 600, ou l’apparition de l’utilisation des métaux (cuivre, bronze, fer…). Entre -10 000 et – 4 000, ces populations nomades eurent d’incessants échanges commerciaux, culturels et linguistiques qui furent les prémices de l’invention de l’écriture et des alphabets.
Les dessins pariétaux : en France et dans le nord de l’Espagne, 200 grottes furent ornées entre -20 000 ans et – 10 000 avant notre ère. André Leroy-Gouran, préhistorien, s’exprime ainsi : « L’art figuratif est, à son origine, directement lié au langage, et se trouve beaucoup plus près de l’écriture au sens le plus large, que de l’œuvre d’art ». L’Homme de la préhistoire nous a laissé des gravures, donc des messages écrits sur une matière : la paroi de pierre. Le mot « matière » est issu d’un mot sanscrit « mâtram », venant de la racine « mâ », faire avec la main.
Dans tous les pays du monde, les hommes ont dessiné et envoyé des messages écrits sur des supports naturels : pierre, bois, terre, palmes, ivoire, or, carapace de tortues, puis le papier, et à présent l’écriture électronique, en passant de la main au doigt. Le mot « dire » dérive d’une racine qui signifie « montrer du doigt ».
Du pictogramme à l’idéogramme : le croissant fertile
Après le Préhistoire, tout commence entre le Tigre et l’Euphrate. Ce « croissant fertile » s’étend de la Mésopotamie jusqu’en Egypte [(le site d’URUK occupé dès le 5e millénaire avant notre ère, mais c’est surtout au IVe millénaire (-3 500 => – 2 900), que la ville se développe. L’agriculture en est l’activité principale : Les paysans ont développé des stratégies efficaces comme l’irrigation, mais aussi l’astronomie, la médecine, la littérature, qui permettent de soutenir les premiers Etats, sous l’égide des institutions dominant l’économie, à savoir les palais royaux et provinciaux, les temples et les domaines des élites.
En Mésopotamie : l’écriture cunéiforme.
Le support : l’argile.
L’objet pour écrire : le roseau (le calame).
C’est donc le dessin simplifié qui est à l’origine de l’écriture, et deviendra un pictogramme. Le dessin va se simplifier pour créer l’écriture dite cunéiforme (en forme de coins, de clous) : le dessin devient symbole, puis signe : ce sont alors des idéogrammes. Au début, il y a environ 2 000 signes cunéiformes, nombre qui se réduit au cours des siècles à 800, dont 200 à 300 d’usage courant. Les inscriptions portées sur les premières tablettes d’argile portent sur les sacs de grains ou de tête de bétail, puis pour le commerce en général. Les scribes constituent une caste aristocratique plus puissante que les courtisans (souvent illettrés) ou que le souverain lui-même.
En Egypte, l’écriture hiéroglyphique :
Les hiéroglyphes ont été créés en 4 000 ans avant notre ère et furent utilisés jusqu’à l’époque romaine au IVe siècle. Ils comprennent trois sortes de signes : des dessins stylisés représentant des choses ou des êtres, des signes exprimant des idées, des phonogrammes, représentant des sons et des signes permettant de savoir de quelles catégories de choses ou d’autres il s’agit.
On est encore loin de la lettre qui exprimera l’ensemble des caractéristiques d’une lettre de l’alphabet. Les signes peuvent s’écrire de droite à gauche ou de gauche à droite : le sens de la lecture est donné par l’orientation de la tête humaine ou des oiseaux. Les supports sont la pierre et le papyrus.
Le rébus, une phase importante dans l’invention de l’écriture : la palette de Narmer
Il s’agit d’une palette à fard et date de – 3 200. Elle date de l’époque du roi NARMER, fondateur de la 1ère dynastie, que l’on voit sur cet objet coiffé d’une couronne. Près de la tête du pharaon, sont dessinés un poisson-chat, qui se prononce NAR (naar (n’r), et au-dessous un burin qui se prononce « MER m’r).
Il s’agit d’une écriture consonantique : les voyelles sont absentes mais sous-entendues.
Les scribes s’amusent au jeu du rébus, ce qui explique que le déchiffrage peut être compliqué, car les pharaons utilisent la cryptographie, c’est-à-dire qu’ils visent à rendre le message indéchiffrable pour toute autre personne que son émetteur ou le destinataire. Ramsès II était très friand de ces codes secrets, car ils dissimulent la complexité idéologique de leur essence divine…
Les échanges avec les pays sémitiques
Au nord-est de l’Égypte,se trouve la région voisine réunissant les territoires actuels d’Israël, la Palestine, l’ouest de la Jordanie, le Liban (la Phénicie), et l’ouest de la Syrie, nommés pays sémitiques.
A cette époque, de petits royaumes s’épanouissent, situés à la limite de l’espace syro-mésopotamien, comme les Cananéens qui habitent une partie de ce territoire à l’âge du bronze, au IIe millénaire avant notre ère. L’Égypte veut étendre son territoire par de nombreuses guerres, et ces nouvelles cités sont alors placées sous la coupe du nouvel Empire égyptien. Peu à peu, les échanges économiques vont se développer entre ces différents territoires du croissant fertile.
L’acrophonie, une seconde phase importante de l’invention de l’écriture : le site de Sarabit-al-Khadim…
…qui se situe dans le sud-ouest de la péninsule du Sinaï, où la pierre turquoise est extraite. Il s’agit d’un temple qui date du Moyen-Empire (-2 000 => – 1 780). Sur une pierre sont inscrits différents signes qui sont les premières traces des hiéroglyphes égyptiens. Mais, pour écrire en langage sémitique, les Cananéens leur donnent pour valeur le premier son de leur langage. Expliquons-nous : le signe rectangulaire marqué d’une flèche situé au milieu du dessin est le pictogramme « maison », et se prononce « bët ou beth »,», ce qui signifie qu’ils ont décidé de ne garder , pour ce signe, que le premier son, à savoir le « b ». Il s’agit là d’une phase très importante de la création d’un alphabet : cela se nomme l’acrophonie. : ainsi, ce signe possède aussi un son. Ce sont donc des analphabètes cananéens qui ont inventé l’alphabet !…
De cet alphabet, naîtront les alphabets phénicien, puis grecs et latins
Ce document en terre fut transmis entre le roi de Byblos et le pharaon Akhénaton, ainsi échangé entre Égyptiens et Protocananéens : ils furent souvent écrits dans les deux systèmes d’écriture : hiéroglyphique et cunéiforme, et l’importance de ces échanges a favorisé de nombreux signes communs.
L’alphabet phénicien : alpha beta = alphabet
Peu à peu et au fil du temps et des échanges permanents entre ces différents peuples, cette écriture sémitique va se transmettre dans tout le bassin méditerranéen comme le montre le tableau ci-contre. Au début, les voyelles n’existent pas et l’écriture, exclusivement consonantique, se lit de droite à gauche.
Voici une phrase consonantique : à vous de la déchiffrer : l lctr dt rtblr tts ls vlls
Le décryptage n’est pas toujours simple, ce qui suppose que la lecture est réservée à une élite puisqu’ils peuvent la décrypter, et qu’ils possèdent déjà une bonne maîtrise vocabulaire.
Chaque peuple va peu à peu personnaliser ses signes pour créer son propre alphabet. Les Grecs vont opérer un progrès décisif : noter les voyelles et rendre les mots accessibles à tous les lecteurs, y compris ceux qui ne maîtrisent pas et pratiquent peu la langue transcrite : il n’a plus que 26 signes à mémoriser.
L’alphabet se transmet ensuite des Grecs aux Romains, et nous emprunterons notre écriture et notre alphabet à ces deux civilisations, l’écriture latine étant attestée dès le VIIe siècle avant notre ère. Bien entendu, de nombreux mots seront empruntés à d’autres peuples et enrichiront notre vocabulaire.
Depuis toujours, ce sont les voyageurs sur terre ou sur mer, et en tous points du globe qui, par leurs échanges marchands, ont propagé et fait enrichir le langage, l’écriture et l’alphabet. Chacun s’est inspiré des contacts avec les autres peuples, et a pris, utilisé, transformé, ajouté, simplifié au fil des temps ce qui paraissait trop compliqué et surtout uniquement maîtrisé par les prêtres et scribes des différents pays. L’écriture deviendra finalement démotique et donc accessible à tous.
G. Morteveille.