par André MENAGER
Compte-rendu de la conférence
Pendant près de deux heures, André Ménager nous a entrainé dans un voyage de l’Antiquité à l’époque actuelle. On peut mesurer l’intérêt suscité auprès de la cinquantaine d’auditeurs au fait qu’après les questions, il a fallu plus d’une demi-heure pour libérer les locaux de l’amphithéâtre de l’UCO.
L’intervention a débuté par une question : Pourquoi s’intéresser à l’histoire de la folie ? » et l’étymologie du seul nom annonçait le programme : folie, du latin follis, sac ou ballon gonflé d’air qui change de forme et de direction au gré du vent ….
De l’antiquité égyptienne et grecque à aujourd’hui, a été retracée la prise en charge de la folie qui ne coïncide pas avec l’histoire de la psychiatrie puisque celle-ci est relativement récente et que pour la psychiatrie la folie est maladie. Ce concept n’a pas toujours été accepté comme tel. L’appréhension de la folie a donc évolué du mystérieux et des concepts philosophique et religieux, en passant par l’enfermement des insensés (comme on les a longtemps appelés), pour être aujourd’hui une science humaine.
L’Egypte et la Grèce rattachaient la folie aux dieux et les prêtres en assuraient le traitement. Elle est reconnue comme étant une maladie de l’âme et il est fait référence à Socrate et à Aristote. Ce dernier sera une référence dans la médecine de l’Europe occidentale jusqu’à la Renaissance tout comme Hippocrate et Galien. Aristote vante l’anamnèse et la catharsis reprises par Freud. La tradition hippocratique ne saurait décrire une maladie sans indiquer le remède.
Malgré tout, on a toujours soigné les fous et la richesse de la réflexion théorique aboutit à une élaboration thérapeutique.
Le Moyen-Âge vit un statu quo de la réflexion théorique. Saint Thomas d’Aquin qui se réfère à Galien, dans ses traités sur la folie, définit l’Homme comme un horizon entre matière et esprit. Pour lui, la perte de raison est un outrage puisque l’Homme « a reçu de Dieu à travers la Rédemption tout ce qui lui est nécessaire pour parvenir librement à sa perfection ».
Le réveil de la médecine provient de l’Espagne, de la Sicile et surtout de l’école de Salerne ; ces écoles bénéficient de l’apport des arabes. Si certains se sont limités à énumérer les maladies, d’autres comme Avicenne, les classent en groupes associant maladies et troubles mentaux : inflammations du cerveau provoquant la léthargie et la frénésie, affections causant vertiges et épilepsie et enfin et entre autres, la confusion de la raison, la manie, la mélancolie et l’amour ……
Deux valeurs résument l’attitude médiévale : charité et assistance (caritas et infirmitas). L’affection nous unit à Dieu et la miséricorde nous rend semblables à lui d’où la contradiction totale entre l’utopie de la charité et la pratique qui se traduit par la création des hôtels-Dieu. Si le monde rural tolère les idiots, crétins et autres benêts il n’en est pas de même en ville où ils sont tournés en dérision voire malmenés malgré la référence à l’Evangile « heureux les pauvres en esprit » (Mathieu 5.3).
La littérature reprend le thème de la folie dans les amours contrariées et Chrétien de Troyes écrit sur l’amour qui rend fou mais aussi qui guérit. Dans la religion, le fou est aimé de Dieu alors qu’il s’en éloigne « L’insensé dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu ! (Ps. 14). Le fou est donc l’athée. Saint Thomas d’Aquin écrit : « Le diable peut arrêter complètement l’usage de la raison en troublant l’imagination et l’appétit sensible, comme cela se voit chez les possédés ». Jusqu’au 16e siècle, les procès en sorcellerie vont fleurir dans une hystérie collective.
Le 17e siècle voit apparaître l’enfermement des mendiants. Les oiseux devront quitter Paris. En Europe, ils sont 12 à 14 millions, soit 20% de la population, rassemblant chômeurs, aveugles, infirmes, épileptiques et insensés. On leur reproche de vivre sans religion et de colporter les hérésies, la peste et la syphilis. L’hôpital de Paris est créé en 1600 et en 1612, près de 5000 mendiants y sont enfermés. Aux « albergues para los pobres » espagnoles répondent les « workhouses » du Royaume-Uni. Les fous dangereux sont emprisonnés. Les édits royaux de 1658 et 1660 attestent de la faillite de l’enfermement. Il fallait un accès de folie furieuse pour en déclencher le processus. A côté de fous violents, il y a la cohorte des violents potentiels qui crient, menacent, insultent, perturbant l’ordre public.
Au 18e siècle il y a environ 500 maisons de force dont les deux tiers sont tenues par de communautés religieuses. Près de 7800 personnes s’entassent à la Salpêtrière.
La vie y est différente selon ses moyens financiers. Pour la plupart, la vie y est faite de privations mais des registres sont tenus et des inspections ont lieu. Quelques décennies après leur création, les dépôts de mendicité se révèlent un échec. Leur coût a été exorbitant, beaucoup d’insensés se sont évadés, des révoltes ont eu lieu, un très grand nombre y a laissé la vie. Devant ces échecs successifs, on pense réformer totalement les moyens d’assistance ; cette réforme est animée par un mouvement philanthropique. L’intendant général Colombier écrit vers 1780 « C’est aux êtres les plus faibles et les plus malheureux que la société doit la protection la plus marquée et le plus de soins ». En 1789, la lettre de cachet, prélude à l’enfermement, est abolie.
Les pauvres gens sont classés en catégories : aliénés, judiciaires, idiots, imbéciles et dégénérés. On considère que leur sortie est possible dès que la raison se raffermit. La notion d’hôpital faisant fonction de remède sera reprise par Jean-Etienne Esquirol (1772-1840), médecin à la Salpêtrière. La psychiatrie institutionnelle est en train de naitre. Il faudra attendre le 30 juin 1838 pour que soit votée la loi permettant l’avènement de la psychiatrie.
Cette loi pose implicitement la question de la construction de nouveaux asiles. Leur capacité sera en fonction du nombre des patients, de leur comportement, de la nosographie … et des finances. Clermont-de-l’Oise alignera 2000 lits.
Les principes architecturaux seront le point de rencontre des aliénistes et des architectes. Sortiront de terre des implantations symétriques (le Mans), des modèles circulaires, des hôpitaux-villages (Allonnes), la dispersion dans la ville, le regroupement total (la Roche-Gandon) et l’hôpital-prison (Cadillac).
Le tâtonnement persiste dans les traitements : se côtoient saignée, purgatifs, émétiques, transfusions de sang animal, châtiments corporels, eau glacée, ellébore à haute dose… Si le malade ne guérit pas c’est qu’il est incurable.
« L’insensé » est en souffrance et cette souffrance incommunicable rend le patient isolé et livré à lui-même si personne ne lui tend la main. Philippe Pinel, Jean-Etienne Esquirol, Nicolas Pussin, Jean-Baptiste Charcot sont des grands noms de médecins du 19ème siècle qui ont libéré les malades de leurs chaînes (au sens propre), précurseurs de la psychothérapie.
La construction des asiles d’aliénés va permettre un véritable boom de l’enfermement (jusqu’à 100 000 malades), étant entendu que la vie y est souvent difficile surtout dans les périodes de guerre où les malades vont mourir de faim et de mauvais traitements. A Clermont-de-l‘Oise, 3536 malades mourront entre 1940 et 1944.
Toutefois, la fin du 19ème et le début du 20e siècle voient s’additionner théories et certitudes qui n’en sont pas.
Le temps du doute confirme que l’asile ne guérit pas. La psychiatrie n’est concernée par le champ social que lorsqu’on y décèle une souffrance psychique. Le traitement du handicap social n’est pas de son ressort.
Il faudra attendre la seconde moitié du 20e siècle et les traitements spécifiques pour que l’asile d’aliénés devienne hôpital psychiatrique puis Centre hospitalier spécialisé et puisse s’ouvrir à la parole soignante et au contact humain normalisé. En psychiatrie, le soignant lui-même est un soin.
La folie est stigmatisée par la simplification et la moquerie. Elle est réduite pour certains à des mots approximatifs et donc ridicules. Doit-on se moquer de Van Gogh, Satie, Arthaud, Séraphine de Senlis, Dali, Camille Claudel, Bazin …. dont l’art est une thérapie.
Tendre la main, accompagner en étant conscient de la souffrance, c’est le rôle de l’hôpital appelé maintenant CHS et de son personnel, qui est lui-même quelquefois impuissant à endiguer la maladie mentale.
Souffrance et tâtonnement sont les mots qui ressortent de cet exposé. Ne pas se moquer mais aider, accompagner et traiter avec les thérapeutiques existantes : voilà le chemin à suivre…