Loin des habituels préjugés et des idées préconçues, le moyen-âge s’impose aux yeux de l’historien non comme une période d’anarchie mais comme une ère plus complexe où la violence s’inscrit dans un mouvement de mise en ordre du cadre féodal. S’il est difficile de retrouver des traces écrites attestant de guerres privées, celles-ci demeurent néanmoins sous-jacentes dans les sources monastiques où bien souvent les fondations d’établissements religieux sont à mettre en rapport avec l’échiquier diplomatique voyant s’affronter les principales puissances comtales. Dans ce contexte particulier, le Bas-Maine, et plus précisément le bassin de Laval, devient au 11ème siècle le théâtre des luttes d’influence entre le comte du Maine et le comte d’Anjou.
Après son installation illégale sur le futur site de Laval en partie encouragée par la puissante famille de Château-du-Loir dont est issu l’évêque du Mans, Guy de Dénéré se rapproche peu à peu du comte du Maine. Par l’intermédiaire de liens créés avec le monastère tourangeau de Marmoutier (fondation de Saint-Martin de Laval au milieu du 11ème siècle), ce nouveau seigneur va faire de sa politique de fondation prieurales son cheval de bataille pour affaiblir les vassaux du comte d’Anjou au profit de son suzerain. Ainsi, après avoir scellé son alliance avec le comte du Maine par la création du prieuré d’Auvers-le-Hamon, Guy de Laval entreprend de fonder deux autres établissements, à Arquenay et au Bignon, visant à faire entrer dans sa zone d’influence des terres appartenant aux Mathefelon de la Cropte et aux Bouëre/Saint-Berthevin, deux familles voisinant dans l’entourage du puissant rival angevin. A sa mort, vers 1060, Guy de Laval semble être parvenu à asseoir son autorité de façon pérenne.
La donne change avec sa succession. Hamon d’Entrammes, seigneur jusqu’alors lié aux Laval, semble se rapprocher de l’Anjou. C’est dans ce contexte délicat que va intervenir la fondation du prieuré de Bazougers. Ce dernier, largement documenté puisque faisant état d’une quarantaine d’actes en 30 ans, est établi par Goslin d’Anthenaise près de son castrum vers 1070. Ce vassal des Laval va profiter des dons de terres offert à cette occasion aux moines de l’abbaye Saint-Vincent du Mans pour verrouiller la hiérarchie féodale locale. Aussi est-il possible de constater que sont sollicités des hommes tels Geoffroy de la Chaillanderie et Godin de la Volue qui sont des familiers des Saint-Berthevin. Au final, l’assise foncière du pouvoir des moines et par là même des Anthenaise représentant les Laval s’établit de manière durable non seulement sur la rive droite de la Mayenne (église de Nuillé-sur-Vicoin) mais aussi surtout aux abords d’Entrammes. L’ordre féodal est ainsi rétabli au profit des Laval en même temps que se diffuse dans les campagnes les principes de la réforme grégorienne.
Apparaissant au final comme une véritable chambre d’enregistrement du réseau féodal local, la fondation du prieuré de Bazougers met également en lumière un phénomène nouveau amené à bousculer l’ordre établi au profit des seigneurs laïcs. En s’attachant par des liens étroits les familles de propriétaires fonciers, les moines jettent les bases du développement d’un pouvoir temporel encore balbutiant mais amené très vite à croître de façon conséquente.
Compte-rendu de Stéphane Hiland Président |