Evron

Mme Florence Hardy
Mr Grandlaunay
Stéphane Hiland

Dom Barbeau
Mr Levy
Sébastien Legros

Compte rendu du colloque par Stéphane Hiland

Notre Dame d’Évron, une grande abbaye du Maine

Samedi 23 octobre 2010 à l’auditorium J. Lanoë d’Évron

Organisé par les Amis de l’abbaye Saint-Vincent avec le soutien de l’académie du Maine et la SAHM, le colloque consacré à la riche histoire de l’abbaye d’Évron a réuni une soixantaine de participants malgré un contexte difficile lié à la pénurie de carburant. Les deux demi journées, qui ont permis au public présent de (re)découvrir l’église abbatiale et les bâtiments conventuels, ont été également émaillées par les interventions de Mesdames Isnard et Ménard, messieurs Legros, Plessix, Lévy, Ladurée et Bourdin, ainsi que celle de Dom Barbeau, moine de Solesmes. Le propos des conférenciers ayant été fort riche, vous trouverez ci-joint un résumé synthétique de ces communications, en attendant la publication des actes du colloque dans les mois à venir.

Fondée au 7ème siècle par Saint Hadouin, l’abbaye d’Évron entretient un lien étroit avec la cathédrale du Mans. Dans le chœur de cet édifice, se trouve encore aujourd’hui dans l’axe de la chapelle de la Vierge un vitrail du 19ème siècle rappelant les circonstances miraculeuses de la fondation d’Évron. On peut y voir la figure du pèlerin, revenu de terre sainte, suspendant la précieuse relique du lait de la Vierge aux branches d’une aubépine. La tradition veut que cette dernière ait considérablement poussé durant le sommeil de l’homme jusqu’à mettre hors de portée de son bras le sac contenant le vénérable objet. Arrivé sur les lieux, l’évêque du Mans serait parvenu à reprendre possession de la relique en priant devant l’aubépine qui se serait incliné devant lui. Pour commémorer ce prodige, le prélat aurait alors commandé la fondation d’un moustier, c’est à dire d’un monastère. Probablement situé plus à l’est, au lieu-dit Dirgé, cet établissement monastique primitif est détruit dans le courant du 9ème siècle à l’issue des invasions bretonnes et normandes.

La restauration de l’abbaye d’Évron a lieu à la fin du 10ème siècle. Dans le contexte d’émiettement du pouvoir central, des chartes de fondation sont octroyées par Robert, vicomte de Blois en 985 puis 989. Ces pièces sont conservées dans le cartulaire de Saint-Père de Chartres pour la première et dans le chartrier d’Évron pour la seconde. L’abbé Angot, érudit mayennais du début du 20ème siècle, s’est penché sur ces pièces d’archives et en a conclu à leur falsification en 1073 au moment de leur copie par un moine de Chartres. Pour lui, le relèvement de l’abbaye d’Évron ne peut-être le fait que de Raoul III de Beaumont, vicomte du Maine, dont la juridiction territoriale enveloppe la Charnie et donc la région d’Évron. Établie depuis plus d’un siècle comme une vérité historique, cette mystification des sources archivistiques est aujourd’hui remise en cause par les récentes recherches de Sébastien Legros. Celui-ci, en recoupant les données généalogiques des familles de Blois et de Beaumont, démontre au contraire que le vicomte de Blois avait tissé des liens étroits avec la Bretagne et disposait de terres dans le Bas-Maine. Dans le contexte de la lutte d’influence qui l’oppose au comte d’Anjou, la fondation d’une abbaye sur les terres de l’un de ses vassaux, le vicomte du Maine, constituerait un acte d’hostilité sur l’échiquier diplomatique de l’ouest de la France.

Aujourd’hui, la nef de l’église abbatiale d’Évron, qui conserve sa mise en œuvre d’époque romane, témoigne du dynamisme de cet établissement bénédictin aux 11ème et 12ème siècles. La fondation de 22 dépendances prieurales, recensées dans des chartres datées de 1126 et 1256, atteste également de cet état de fait. Les moines d’Évron sont présents en Mayenne, à Neau, Champgénéteux (11ème siècle), Changé, Saint-Ouen-des-Toits (12ème siècle), Vaiges ou La Chapelle-Rainsouin (13ème siècle), mais également au delà des limites du Bas-Maine près de Fougères. On constate néanmoins que la grande majorité de ces prieurés est établie dans un rayon de 30 kilomètres autour de l’abbaye mère. L’influence temporelle d’Évron est donc limitée et son aura touche essentiellement la population locale. Preuve en est donnée dans le cas de la fondation du prieuré de la Ramée en 1211 par Payen de Vaiges. Répondant à des motifs spirituels, mais cherchant aussi à se ménager l’appui des moines, cet aristocrate fait don à l’abbaye de sa chapelle qui, dès lors, voit son service entretenu par deux hommes de la communauté évronnaise. Ces derniers exploitent alors un terroir agricole dont le centre est la cour du prieuré qui regroupe, outre la chapelle, la maison priorale, la grange, le jardin, le vivier et un cimetière. Cette forme de domination territoriale se traduit également dans l’influence spirituelle de l’abbaye. Il semble établi, par ailleurs, que l’abbaye d’Évron a constitué à cette époque un véritable pôle artistique où se forment sculpteurs et peintres qui oeuvrent à l’ornementation des sanctuaires. L’étude des peintures murales de Neau et de Bais a pu ainsi montrer une similitude de la représentation des traits de visage des personnages.

Doté d’un chœur de style gothique rayonnant, dont la mise en œuvre provoque la disparition de la crypte primitive, l’église abbatiale d’Évron est alors, à la fin du moyen-âge, au faîte de sa puissance. Elle connaît par la suite de nouveaux aménagements importants : en 1666, les fenêtres romanes de la nef sont élargies et les murs entièrement reblanchis. En 1779, le chœur s’adapte également à la liturgie post-tridentine par le biais d’un maître autel donnant à la fois vers les fidèles d’un côté et vers les stalles des moines de l’autre. A la veille de la Révolution, l’abbaye d’Évron achève de se restructurer sous l’égide des Mauristes qui s’y sont installés en 1640. A partir de 1726, ces derniers reconstruisent également les bâtiments conventuels en assurant la mise en œuvre, sur le modèle de l’abbaye Saint-Étienne de Caen, d’un grand logis aux lignes architecturales classiques qui s’ouvre aujourd’hui sur la place de la basilique.

Si le 24 août 1789 on bénit en grande pompe les drapeaux de la garde nationale sous les voûtes du sanctuaire évronnais, on ne tarde pas à voir celui-ci déserté par les moines. Alexis de Chardeboeuf, vicaire général du diocèse de Limoges, est le dernier abbé commendataire d’Évron au moment de la suppression des ordres monastiques en 1790. Privée de la présence des bénédictins qui assuraient l’aumône auprès des plus démunis, la municipalité évronnaise se plaint dès lors d’une situation sociale devenue délicate. De fait, en 1808, le préfet Nicolas Harmand autorise l’installation sur le site des Sœurs de la Charité. Fondée en 1709 par une native de La Chapelle au Riboul, Perrine Brunet, autrement appelée Sœur Tulard, cette congrégation prend en charge l’enseignement et les soins à prodiguer auprès des classes populaires. A la veille de la seconde guerre mondiale, 700 religieuses sont ainsi reparties en France. On les trouve implantées quasiment dans tous les villages de la Mayenne et de la Sarthe. Aussi interviennent-elles dans le cadre de l’accueil des réfugiés du nord de la France en mai 1940, puis du sauvetage des enfants juifs et des aviateurs alliés. Des liens étroits avec la population locale sont ainsi tissés génération après génération entre les sœurs de la Charité et les Evronnais. C’est donc avec le cœur lourd que ces dernières ont quitté les locaux de l’abbaye il y a quelques mois. L’imposant monument attend désormais de recevoir une affectation, digne de lui redonner le prestige qui fût le sien depuis près de dix siècles.

 

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