Excursion du 25 septembre à Alençon – Visite de la ferme agro-industrielle d’Avoise

Accueil du groupe à Avoise

Par une belle journée, seulement troublée par un grain en début de visite, le groupe de la SAHM a été chaperonné par monsieur Patrick Birée, secrétaire-général de la Société historique et archéologique de l’Orne, professeur d’histoire-géographie à l’ESPE d’Alençon et docteur en histoire moderne et contemporaine.
Accueil du groupe à Avoise
Clarté des interventions, choix des documents et bonne humeur ont été de mise toute la journée en suivant nos trois intervenants puisque la partie en forêt de Écouves a été commentée par monsieur Joël Thézé, ancien agent de l’ONF et la visite de l’église Notre-Dame d’Alençon par monsieur Jean-Yves Fleur.
Qu’ils soient ici tous les trois chaleureusement remerciés.

 

 

L’Alençonnais, composantes d’une histoire.

La géographie marque l’implantation et l’activité des hommes. Le territoire actuel de l’Alençonnais, qui correspond grosso-modo aux anciens cantons d’Alençon-est et d’Alençon-ouest encore valides jusqu’en 2014 (26 communes, avec au plus 40 000 habitants) ne représente en fait que la moitié de l’espace divisé par la rivière Sarthe : au nord, la partie ornaise, au sud, la partie sarthoise.

Ce territoire, morphologiquement une plaine, est « enchâssé » dans un écrin de massifs : au sud celui de Perseigne, à l’ouest celui de Pail, au nord celui d’Écouves. Les communes adossées au massif se distinguent de celles appartenant aux fonds de vallées de la plaine d’Alençon. Des territoires à paysages mixtes se situent à cheval sur ces deux réalités topographiques et géomorphologiques. Le haut pays présente une altitude de plus de 200 mètres. On y dénote des crêtes assez hautes, des barres et des escarpements, où se développe la forêt. L’emprise de celle-ci sur ce territoire y a toujours été forte et la filière « bois » très dynamique. Le bas pays se compose de basses terres (entre 100 et 200 mètres) positionnées sur un plateau presque horizontal. Écouves représente l’extrémité orientale du Massif armoricain et, avec une altitude moyenne de 340 mètres, il surplombe la plaine de près de 200 mètres. Son point culminant est le Signal d’Écouves à 417 m. Le réseau hydrographique qui draine la plaine, globalement orienté vers le sud (il rejoint le bassin de la Loire), se compose essentiellement de la Sarthe et de plusieurs affluents, dont les deux principaux, la Briante et le Londeau.

Cette rivière fut de tout temps le « marqueur de territoires ». Alençon lui doit son développement : embryonnaire lors de l’antiquité (probablement qu’un gué sur lequel se greffent quelques constructions, dont peut-être un temple), puis de manière marquée au XIe siècle sous l’influence des seigneurs de Bellême. Guillaume le Conquérant y tint un siège sanglant en 1051-1052. Son influence est déterminante dans l’essor de cette cité frontière entre le Maine et la Normandie. Par les Valois, elle devient capitale d’un apanage royal au XIIIe siècle. Très active pendant la guerre de Cent Ans, elle devient le chef-lieu de la généralité d’Alençon en 1636. C’est cette dimension historique qui lui fait devenir chef-lieu du département de l’Orne en 1790 alors que d’autres villes (Sées, évêché, ou Argentan) pouvaient logiquement y prétendre.

Elle bénéficie d’un certain développement économique lors de la Révolution industrielle surtout grâce au textile puis jusqu’aux années 1970 par la renommée de Moulinex. Sa démographie est caractéristique de ces petites villes de province : en expansion nette au XIXe siècle (de 13 000 à 18 000 habitants), elle rétracte dans la première moitié du XXe siècle puis se trouve inversée après la Seconde Guerre mondiale.  Le chiffre de la population atteint son maximum avec plus de 33 000 habitants en 1975. Les difficultés économiques et le phénomène de péri-urbanisation le font descendre à 26 000 habitants en 2013.

Les terres de plaine ont bien sûr vu une activité agricole florissante. Laissons Jean-Baptiste de Pomereu, intendant de la généralité la définir dans un rapport en 1698 : « La campagne d’Alençon, qui s’estend depuis la forêt d’Escouves, située en Normandie, jusqu’à celle de Perseigne, qui est de la province du Maine, ainsi que de la plus grande partie des terres et villages qui sont aux environs, dans un paysage assez uni, sont fertiles et abondantes en toutes sortes de grains, fourrages, chanvres et fruits, et particulièrement des pommes et des poires qui servent à faire du cidre et du poiré, dont est composé la boisson ordinaire du pays ; mais il n’y a point de vignes. Il s’y trouve aussi beaucoup de bons pasturages dans lesquels on met quantité de bœufs et de vaches que l’on mène à Paris, Rouen et Picardie ».

Tout est dit au sujet des permanences agricoles de ce territoire au fil des siècles. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’histoire d’Avoise sur la commune de Radon (au nord d’Alençon). Construite en 1858, cette ferme agro-industrielle a eu pour vocation de produire de l’alcool de betteraves en utilisant des méthodes et des techniques propres à l’industrie. Le site encore existant est de taille très imposante : dans une cour carrée de 130 m de côté apparaissent les bâtiments utilisés spécifiquement pendant seulement 20 ans sur une superficie de 360 hectares : distillerie, grange, bouverie, écurie de chevaux de travail, etc. Par la suite, cette exploitation devient uniquement agricole et elle marque l’agriculture locale au XXe siècle par sa dynamique.

Patrick Birée et Delphine Barrière-Birée

Avoise avant Avoise :

Avoise Peinture Manoir
Non loin de cette exploitation semi industrielle préexistait la demeure des seigneurs d’Avoise, lignée de petite noblesse du 11ème au 16ème siècle. Un logis d’allure féodale, probablement remanié au début du 16ème siècle, était le centre d’un grand domaine seigneurial existant jusqu’à la Révolution Française. Au 19ème siècle il est composé de plusieurs fermes et de 220 hectares.
En janvier 1858, Jules César HOUEL achète le domaine d’Avoise et décide de ne pas conserver le logis, jugé trop vétuste.

 

HOUEL, enfant de 1ère révolution industrielle.

Jules César HOUEL (1818 – 1876) est issu d’une famille de commerçants d’Alençon. Son père, Joseph Houel, épicier est installé rue aux Sieurs jusqu’en 1840. Il connaît donc bien la région.

Après un cursus à l’école des Arts et Métiers d’Angers en 1836 (2ème de sa promotion), il est embauché d’abord comme ouvrier ajusteur dans les ateliers Saunier à Paris, puis comme dessinateur dans la Société Derosne-Cail (spécialisée dans le perfectionnement des appareils distillatoires et sucriers) à Chaillot. Il gravit les échelons à l’intérieur de l’entreprise, et devient ingénieur civil de 1842 à 1868. Ensuite, il est associé à la gérance de la société  Parent-Schaken, Caillet et Cail. A sa mort en 1876, on le retrouve administrateur délégué de la société Fives-Lille.

A partir de 1844, la société Derosne-Cail et ses associés se lancent dans la construction de locomotives en achetant le brevet de la locomotive Crampton et en travaillant en étroite collaboration avec l’entreprise Fives-Lille qu’il a créée.

Les beaux jours de l’alcool à 90° : 1859 – 1872.

vue générale Avoise 1872Dès 1858, Jules César HOUEL se lance dans la création d’une ferme-usine dont l’objet à la fois agricole et industrielle consiste à cultiver la betterave à la belle saison et à la distiller pour produire de l’alcool à 90° selon le modèle dit « Champonnois », l’hiver.
L’ingénieur obtient l’autorisation de fonctionner en octobre 1859, mais la ferme n’est pas totalement achevée.Il achète peu à peu des parcelles aux petits agriculteurs locaux, mais procède aussi à des échanges de parcelles. En 1859, le domaine comprend 232 hectares, jusqu’à 362 hectares, 10 ans plus tard. Un gros travail de drainage et d’amendement des sols est alors réalisé. Il fait dresser les plans de chaque parcelle acquise.

L’activité agricole d’Avoise comprend la culture du blé, de l’avoine d’une part et l’élevage de bovins destinés à la boucherie d’autre part.

Jules César Houel entraîne dans son sillage deux autres entrepreneurs. Monsieur Caillet, administrateur de la société Cail, achète des terres à Mesnil-Erreux pour créer à l’identique la ferme-usine de La Normanderie. Monsieur Cheilus quant lui fait construire la ferme de Briante à Colombiers. Ces trois projets ont en commun l’objet, mais présentent aussi le même mode d’organisation. Le travail de l’homme et de l’animal est rationalisé et facilité par l’apport de machines très à la pointe pour l’époque et une architecture fonctionnelle.

vue + plan distillerie 1872
Les débouchés commerciaux de l’alcool trouvés par J.-C. Houel devaient probablement servir à un usage de combustible (domestique ou industriel). Cet aspect probablement très ordinaire à l’époque n’apparaît pas dans les écrits de son propriétaire. (Rendement : 1000 kg de betteraves donnent 90 à 100 litres d’alcool).

Vers 1872, l’ingénieur constate déjà que l’activité industrielle d’Avoise vit ses dernières années de rentabilité. En effet, le cours de l’alcool baisse, tout comme celui du blé. Il faut songer à revoir les modes de production de la ferme.

 

Une reconversion réussie : 1876 – 1960.

En 1876, Jules César Houel décède prématurément et laisse son fils unique, Gervais Auguste Jules, aux commandes de la destinée d’Avoise. Cette reconversion s’amorce vers 1879 véritablement. Il arrête la distillation de la betterave pour se consacrer à l’élevage de bovins et de chevaux (percherons et poulinières demi-sang). Il convertit les labours en prairies (de 36 hectares, on passe à 185 hectares) en 1897. Il continue la culture de l’avoine et du blé. Il aménage également un parc paysager au-delà du potager. Enfin, il plante 3 000 arbres fruitiers et consacre une part de son activité à produire du cidre.
Après lui, Avoise reste dans la famille par l’intermédiaire des filles.
Dans les premières décennies du 20ème siècle, le domaine retrouve une certaine rentabilité employant jusqu’à une quarantaine de personnes de manière permanente.
Après la seconde guerre mondiale, l’apport du tracteur, conjuguée aux techniques culturales américaines mécanisent encore un peu plus l’activité agricole d’Avoise. Les techniques de gestion, et l’organisation du travail sont localement reprises pour une agriculture en pleine évolution.

La fin du domaine agricole : 1960 – 2004.

L’aventure de la famille Houel s’achève en 1960 avec l’achat du domaine par une famille d’agriculteurs beaucerons : les Benoit.
Un changement du mode de culture ne permet pas aux propriétaires suivants de poursuivre l’exploitation du domaine très longtemps. Pour subvenir au coût croissant des bâtiments, ils se voient obligés de vendre une partie des terres.

Les différents propriétaires d’Avoise.
Famille Houel et consorts :
1858 – 1876 : Jules César HOUEL, père
1876 – 1900 : Gervais Auguste Jules HOUEL, fils
1900 – 1948 : Hélène HOUEL, épouse GARIN (fille de Gervais HOUEL)
1948 – 1960 : Ghislaine DUCHAUSSOY (petite nièce d’Hélène), épouse JOUSSET
——
1960 – 1986 : Marc BENOIT (père), puis Jean-Louis BENOIT (fils)
1986 – 2007 : Bernard POUPARD
Depuis 2004 : Didier Beaufils

Le site d’Avoise

1-ferme d'Avoise-Radon (12)La ferme telle qu’elle fonctionnait à l’époque de la distillerie : la cour fermée et la surface du potager comprennent 3 hectares clos de murs.
La maison d’habitation est sur deux niveaux avec une pièce principale reliée symétriquement par un couloir central donnant sur des pièces côté cour de la ferme ou côté parc/potager. Tout en haut une chapelle est édifiée.
Il y avait aussi la maison du régisseur, la laiterie et le réfectoire des ouvriers agricoles et la distillerie avec ses dépendances.
La distillerie et son magasin à alcool : en 1872, l’activité agricole occupe 18 personnes (dont 12 valets de ferme et 3 femmes) et l’activité industrielle 5 hommes.
Total du personnel sur site à l’année : 36 personnes. Le distillateur, son aide, le tonnelier et deux chauffeurs une fois la campagne de distillation terminée apportent leur contribution aux travaux agricoles.
Vint ans plus tard vers 1897, Gervais Houel (fils). Les silos à pulpe, les wagonnets servent toujours.

Ferme d'Avoise - GrangeLe système Champonnois est utilisé pour produire l’alcool à 90° à partir de la betterave. Son inventeur, préconise l’utilisation d’un coupe-racines actionné grâce à une machine à vapeur. Les betteraves une fois lavées, puis découpées en tranche par le coupe-racines sont mouillées dans de l’eau mélangée à de l’acide sulfurique (2 l d’acide pour 1000 kg de betteraves). Elles sont ensuite versées dans des cuves de bois au nombre de 3, appelées cuves de macération à double fonds. Elles communiquent entre elles. On y verse de l’eau chaude et l’on fait passer le liquide issu de cette macération de cuves en cuve jusqu’à prélever une macération maximale. Des pompes récupèrent, ce liquide dans un réservoir disposé à l’étage, en vue de le diriger dans des cuves de fermentation. La fermentation fait son office à une température de 17° en transformant le sucre contenu dans les betteraves en alcool. Quand celle-ci est suffisante. L’alcool qui en résulte est dirigé vers l’appareil à distiller (colonne à distiller) au fur et à mesure et le plus rapidement possible. Cet alcool peut être rendu plus pur en passant par la colonne à rectifier.
Les déchets qui résultent de ces différentes opérations sont recyclés. Ainsi, la vinasse sert de nouveau à la macération, ou est évacuée dans les fosses à purin. Tandis que l’eau qui a servi à laver les betteraves en début de circuit s’écoule par un ruisseau pour arroser une pièce de terre. Enfin, la pulpe est retirée des cuves de macération pour être entassées dans des silos. Elles sont ainsi conservées pour nourrir les bœufs destinés à l’engraissement.
L’alcool est ensuite stocké dans des réservoirs à alcool sur le côté de la distillerie et dans le bâtiment disposé à l’arrière. L’alcool était ensuite acheminé par voie de chemin de fer dans des tonneaux fabriqués sur place.

La grange, l’étable et les écuries sont de vastes bâtiments ou sont mis en service les techniques de pointe de l’époque : nourrissage individualisé, évacuation des litières, etc..

P.Birée.

 

Ainsi se termine cette matinée de découverte d’un et la pose de midi nous amène sur le terrain militaire de Radon ou est pris le pique-nique dans ou auprès de l’ancienne ciblerie après que Mr Joël Thézé, ancien agent de l’ONF nous ait présenté la forêt d’Écouves.

Celle-ci, située au cœur du parc naturel régional Normandie-Maine est pour moitié plantée de feuillus et de résineux et présente un relief accentué par une série de buttes. Propriété des ducs de Normandie puis des seigneurs de Bellême et d’Alençon, elle est rattachée à la couronne de France au 13e siècle puis devient domaniale en 1790. Domaine des randonneurs, elle intéressera également l’amateur d’histoire avec ses bornes en granite.

L’histoire de Radon est aussi liée à celle militaire d’Alençon. Un champ de tir de même que des remontes de chevaux sont créées dans les années 1880 pour le 14e Hussards et le 103e R.I. qui se distingueront tristement lors du premier conflit mondial, surtout en 1914. Le champ de tir servira jusqu’en 2010.

L’après-midi sera consacré à la visite de l’église Notre-Dame par monsieur Jean-Yves Fleur et une recherche d’Alençon médiéval, de nouveau en compagnie de monsieur Patrick Birée.

La basilique Notre-Dame est édifiée sur les vestiges d’une église romane. Elle est agrandie au 14e siècle. Le chœur, les bras du transept et le clocher trapu ont été reconstruits au milieu du 19e siècle.

Basilique Notre-Dame

Basilique Notre-Dame

Le porche, élevé à partir de 1500 sur un plan trapézoïdal, délicatement sculpté, assez fréquent en Normandie, est achevé par la duchesse Marguerite de Lorraine.  Sa partie centrale présente la Transfiguration. Le vitrail de façade, l’Arbre de Jessé, est dû à la confrérie des métiers du cuir (1511).  Le même maître d’œuvre élève au-dessus du triforium gothique classique une voûte flamboyante en étoiles, aux nervures richement décorées. Les grandes verrières   présentent des vitraux de la Renaissance (1511 – 1543) remarquables qui offrent un nouveau programme liturgique. La chaire sculptée en pierre et bois, peinte et dorée (1536) possède son entrée dans un pilier ; l’abat-voix en bois a été ajouté en 1765.

Alençon - maison d'OzéLes grandes orgues ont été restaurées et inaugurées le 1er septembre 2016. Le buffet de 1537 a retrouvé ses couleurs d’argent et d’azur.

Le maître-autel avec forme de tombeau légèrement galbé, taillé dans un marbre gris et blanc, est une commande à un maître retablier lavallois en 1746. La sculpture monumentale représente l’Assomption. Il est complété d’un baldaquin reposant sur des colonnes corinthiennes en marbre rouge supportant un entablement couronné d’un dôme orné d’angelots.
Des travaux importants ont débuté en 1986 pour réhabiliter la nef gothique, notamment l’élégant triforium qui allège les maçonneries au-dessus des grands arcs. Les murs de la nef ont été nettoyés en 2014 avec un procédé de polymérisation.

La découverte des vestiges de la ville médiévale s’est faite au cours d’une déambulation en boucle depuis la maison d’Ozé, par la Grande Rue, la halle au blé, l’hôtel de ville évoquant le Petit Trianon et l’église St Léonard.

A.Guéguen.

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