Conférence donnée par Mme Evelyne Ernoul en introduction de l’assemblée générale à Craon le 25 janvier.
La route royale de Laval à Craon, 1746-1759 : un chantier perturbé.
Le maillage de la voirie craonnaise d’origine médiévale était uniquement fréquenté par des piétons et des cavaliers à dos de mules. Car toutes les classes de la société montaient, les hommes de loi comme les religieux, les filles de ferme comme les bourgeois. Aucun carrosse, aucune chaise à porteur, aucune charrette lourdement chargée ne pouvaient s’aventurer toute l’année dans ces chemins creux, tant l’entretien en était négligé par les riverains. En outre, la baronnie Craon avait peu de rapports avec Laval, mais avec Angers, chef-lieu du diocèse et siège des tribunaux royaux.
La population parait au plus urgent pour combler les bourbiers qui enflaient à la mauvaise saison : planches, branchages couverts de terre comblaient des mares parfois profondes. Sinon, on passait à travers champ, par des échaliers pour se rendre à la messe. La paroisse de Laubrières fut tirée de Méral sous Louis XIII, pour éviter ces inconvénients. On voulait rester maître chez soi, on sortait peu. Parfois un sergent royal intimait à un villageois, contrôlé par un notaire, de constituer une corvée à la sortie de la grand’messe où il était coutume que se réunisse l’assemblée paroissiale. Pelles et civières entraient modestement en action.
Les arbres des haies bordant ces chemins creux qui entretenaient l’humidité représentaient une valeur marchande, tant en bois d’œuvre qu’en châtaignes pour faire la soudure et en fagots. Y attenter pour ouvrir un grand chemin était impensable. Et pourtant Louis XV ordonna l’ouverture d’une route royale en 1746, à charge pour un arpenteur de pratiquer aux alignements, qui passeraient « comme un boulet de canon ». Pourquoi ce revirement ?
Les marchands tissiers de Laval la réclamaient depuis dix ans. Ils comptaient parmi les meilleurs clients du marché en fil de lin blanchi, sous les halles de Craon, vendu par une centaine de blanchisseurs venus d’Anjou et de Bretagne. Ils y faisaient respecter les règlements de Colbert mis en œuvre pour protéger la qualité des toiles à l’exportation. Le commerce très lucratif des toiles (on pouvait en vendre, dit-on, 60 km en 2 heures au marché aux toiles de Laval) devait être protégé par la Couronne.
Une organisation pyramidale fut donc mise en place pour mettre en mouvement « la corvée royale » via l’intendant, ses subdélégués, les procureurs-syndics chargés de recruter la main d’œuvre et des commissaires pour encadrer le chantier où circulait la maréchaussée. La famine de 1747 retarda le travail, le blé était cher, les paroisses ne pouvaient pas nourrir les travailleurs ; les curés, les procureurs-syndics et certains seigneurs prirent leur défense près du subdélégué de Château-Gontier qui se laissa fléchir. Le chantier reprit en 1748.
Si la mauvaise volonté fut générale d’entrée de jeu, il y eut de multiples raisons : outre des expropriations non indemnisées, les chefs de famille ne disposaient pas en ville d’outils et de bêtes de trait, ni à Laval, ni à Craon. Le nombre des exemptés de la corvée, de droit (officiers royaux et seigneuriaux, religieux) ou par protection, reporta la charge du travail gratuit et sous la contrainte de la maréchaussée, sur les domestiques et sur les ruraux de 30 paroisses dont certaines ne bénéficieraient pas directement de la route. Des mutineries d’ouvriers récalcitrants durent être réprimées. La bonne pierre manquait à proximité, il fallut faire appel à des rouliers du sud et du nord de la Mayenne pour la charroyer. Et l’on ne peut rien contre la météo !