Compte rendu de la conférence du samedi 24 février 2018 :
« Louis Derbré, un artiste mayennais qui reste à découvrir » par Corentin Poirier.
Corentin Poirier est Ernéen et a grandi au milieu des œuvres de Louis Derbré. C’est ainsi qu’en 2011, année de la mort de Derbré, il a présenté un dossier sur son œuvre lors de l’oral d’Histoire de l’Art du baccalauréat. Passionné par cet artiste et son œuvre, il s’investit dans l’association culturelle Louis Derbré qui gère aujourd’hui l’héritage artistique du sculpteur. Corentin en est actuellement le président et il s’occupe également des archives de Louis Derbré ; le travail de tri, de recollement et de catalogage est très long, car ces archives sont les témoins de près de soixante années de création.
La conférence a débuté par une évocation de la vie de Louis Derbré en revenant sur les grandes étapes qui ont jalonné sa carrière artistique ainsi que les rencontres et les influences qui ont participé à construire l’imaginaire de ce sculpteur autodidacte à la réputation internationale. L’objectif est de montrer en quoi cet artiste, qui, alors que sa renommée n’était plus à faire dans les milieux artistiques parisiens, a choisi de revenir s’installer sur les terres de son enfance appartient aujourd’hui, dans toute sa singularité, au patrimoine culturel et artistique de notre département. Il est donc essentiel que l’on puisse sauvegarder et mettre en valeur l’œuvre de cet autodidacte.
Louis Derbré est né à Montenay, à la Gandonnière le 16 novembre 1925. Ses parents, Jean-Marie et Marie-Louise Derbré, sont cultivateurs. Il fait ses études jusqu’à douze ans et reste travailler sur l’exploitation familiale jusqu’à ses dix-neuf ans. Pendant la guerre, sa famille accueille des réfugiés : il fait la connaissance d’une jeune parisienne, Antoinette Cabrol, qu’il épouse en 1945. Après leur mariage, le couple part s’installer à Paris. Louis Derbré est employé comme manœuvre dans une maison d’édition d’art, fréquentée par des étudiants des Beaux-Arts.
En 1947, lui, le fils de paysans mayennais, qui ne connaît rien à la sculpture, relève le défi de sculpter le buste d’un de ces étudiants, un jeune peintre hollandais du nom de Louis Werschürr, avec lequel il s’est lié d’amitié. Ce portrait, taillé dans la pierre, est exposé à l’hôtel de ville d’Ernée et il est remarqué par un journaliste local qui prend conscience du talent de Louis Derbré. En 1951, ce buste, ainsi que le portrait également en pierre d’une jeune femme ernéenne, Mémène lui valent de recevoir le Prix Fénéon, des mains du poète Louis Aragon. Avec la somme de 100 000 francs qu’il reçoit, il aménage son tout premier atelier, rue Raymond Losserand et installe un creuset dans son poêle à charbon.
Il réalise ses premières œuvres en bronze et sculpte dans la pierre et le bois. Le sculpteur néophyte enchaîne les expositions, au Salon d’Automne en 1951 et 1954, au Salon de la Jeune Sculpture en 1954 et 1960, etc. Il expose cinq sculptures au Musée de Poitiers et le Musée Municipal de la Ville de Paris lui achète une œuvre. Derbré obtient aussi le Prix National de l’École des Beaux-Arts en 1953.
En 1956, et pendant près de quatre ans, Louis Derbré devient l’assistant du sculpteur Émile Gilioli (1911-1977) auprès duquel il perfectionne sa maîtrise du bronze. Derbré réalise des œuvres figuratives à un moment où la sculpture abstraite prédomine et dont Gilioli est l’un des grands représentants français. Son « maître » lui disait « j’arriverais bien un jour à t’influencer » et dans la même phrase, il poursuivait « surtout ne change rien, continue ! ». Cette période (1961) est également celle de la création de la première grande œuvre de Derbré, sculpture en pied qu’il baptise « L’Aube ». Il s’agit d’un corps de femme, taillée dans une poutre de chêne, d’une hauteur de 195 cm.
L’année 1962 est importante dans l’essor de la carrière artistique de Louis Derbré : c’est la première exposition personnelle de l’artiste, à la Galerie Hervé Odermatt, Avenue Matignon, à Paris. Comme l’indique le nom de l’exposition « Rodin-Maillol-Derbré », le jeune sculpteur expose aux côtés de deux grands maîtres de la sculpture, dont l’art a influencé le sien. C’est la révélation au grand public, révélation qui va entraîner de nombreuses commandes et expositions. L’art de Derbré est désormais tout à fait reconnu.
Le 11 novembre 1963, il fonde, sous la houlette de Juliette Darle le Groupe des Neuf », avec Jean Carton, Jean Osouf, Raymond Martin, Charles Despiau, dessinateurs et sculpteurs qui veulent défendre et illustrer l’art figuratif.
En 1964, il est également à la création de la Biennale « Formes Nouvelles ». Il est plusieurs années de suite Président de la section sculpture du Salon d’Automne à Paris. Son atelier accueille beaucoup d’élèves, souvent des étudiants en médecine.
En 1990, il réalise le buste en bronze du professeur Daniel Guilmet pour remercier ce chirurgien du succès d’une opération à cœur ouvert. Avant son opération, Louis Derbré avait dit à Guilmet : « Professeur, faîtes-moi des coronaires en acier, et je vous ferai la gueule en bronze ». Entré en clinique le 20 janvier 1990, il achève à la veille de sa sortie, le 8 février suivant, dans sa chambre d’hôpital, le plâtre du portrait.
A sa manière, Louis Derbré était un dompteur de feu, puisqu’il coulait lui-même le bronze nécessaire à la réalisation de ses œuvres, dans la fonderie de l’Espace qu’il a créé en 1991 à Ernée, et avant, par exemple dans son atelier d’Arcueil. Ainsi, le critique d’art André Parinaud écrit : « Derbré sculpteur ne fait qu’un avec Derbré fondeur. L’obsession qui a conduit l’artiste à maîtriser les formes l’a également engagé, avec la même passion, à dominer les lois du feu et du métal ». Et il ajoute : « Il faut avoir vu un Derbré, au milieu des fumées et des flammes… ».
Sa fille, Mireille résume ainsi l’artiste : « Son œuvre est maintenant regardée à travers le monde aux Etats-Unis, au Japon, en Thaïlande, en Afrique. En France de nombreuses villes, à commencer par Paris, possèdent ses œuvres en des lieux prestigieux, mais Louis Derbré s’est tenu en retrait du monde médiatique et son œuvre est encore à présenter au plus grand nombre ».
La dernière œuvre de Louis Derbré est une tête monumentale de 8,50 m de haut, en bronze, pesant 11 tonnes : le Prophète.
Aujourd’hui, le site d’Ernée qui regroupe un nombre important d’œuvres monumentales ne peut pas fonctionner de manière autonome. D’autre part, certaines sculptures ont été réalisées dans des matières fragiles et risquent de disparaître comme cette représentation du « Mythe » qui s’est effondré en ce mois de mars 2018.
* Le mythe a été la première œuvre monumentale installée sur le Jardin des Sculptures de l’Espace Culturel Louis-Derbré à Ernée, en 1991. Il s’agissait d’une tête de femme posée sur un pilier en béton, l’ensemble étant d’une hauteur de dix-sept mètres et dominait ainsi les alentours. La femme était représentée en train de relever sa chevelure, avec ses mains. Son visage était inspiré des visages de deux femmes. On peut retrouver l’un deux dans le portrait d’une dame, Danielle, et en particulier avec le dessin des yeux. La monumentalité de cette œuvre n’était pas sans rappeler la massivité des grandes œuvres égyptiennes, et beaucoup, en contemplant cette sculpture, pensaient au Sphinx.
.