Table ronde du 27/2 – L’ouest de la Mayenne a-t-il été un désert humain ?

– Compte-rendu de la table ronde du 27 février 2016 –

« L’Ouest de la Mayenne a-t-il été un désert humain ? »

Table ronde réunissant

Gilles LEROUX (archéologue INRAP, spécialiste de la prospection aérienne),

Jean-Claude MEURET (maître de conférences honoraire à l’Université de Nantes)

et Daniel PICHOT (professeur émérite d’histoire médiévale à l’Université de Rennes 2)

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La table ronde a débuté par une question de J. Naveau à D. Pichot (professeur émérite d’histoire médiévale, université de Rennes 2) concernant les sources ayant présidé longtemps à l’hypothèse d’une vaste forêt couvrant l’ouest mayennais, comme cela apparaît sur une carte de René Musset datant de 1917.

Sont mentionnés successivement les Actus du Mans, notices rédigées pour les évêques du Mans et destinées à défendre les droits de la cathédrale, les Vitae, vies des saints et enfin les chartes des abbayes. Les Actus s’appuient sur des sources remontant avant le 9e siècle mais posent le problème de la difficulté d’identifier certains lieux et sont d’une fiabilité relative. Les « vies » mentionnent la forêt, retraite des ermites mais il faut comprendre cela au sens spirituel (et non comme une réalité botanique). Les chartes qui existent encore sont des sources très inégales : quasiment absentes pour Clermont, elles représentent des sources bien documentées dans le nord-ouest avec Savigny. Tous ces documents doivent aujourd’hui être relus autrement.

S’adressant à G. Leroux (archéologue INRAP), J. Naveau demande ce qu’il a observé depuis le ciel.

  1. Leroux a pratiqué des prospections aériennes en Ille-et-Vilaine et Mayenne depuis 1989. Il commente plusieurs photos prises en été. Les traces d’enclos de l’Âge du Fer sont très nombreuses et se matérialisent par la différence de couleur de la végétation due à la présence de fossés. Ces enclos sont des exploitations agricoles qui ont perduré parfois pendant plusieurs siècles. Leur détection n’est pas exhaustive car elle dépend des conditions météorologiques, de la nature des sols, des types de cultures. Sur Livré-la-Touche, le nombre de fermes gauloises est égal au nombre d’exploitations actuelles et à Cossé-le-Vivien, 80% du territoire est occupé par des enclos, des voies de communication, des nécropoles. Ces constatations sont confirmées par J-C. Meuret qui a fouillé certains de ces sites. On est donc très loin d’un désert humain à l’Âge du Fer.

C’est ensuite à J-C. Meuret (maître de conférence honoraire, université de Nantes) d’être interrogé sur la notion de forêt. Le mot « foresta » est une création assez récente (6-7e s.). Au Moyen Âge, ce terme juridique englobe les bois, les près, les landes, les cultures, les étangs… Pour un seigneur, c’est le territoire qu’il possède en propre. Dans la forêt de la Guerche, grâce au couvert, les talus de l’Âge du Fer sont conservés, la densité des exploitations repérées est identique à celle observée en zone non boisée. Ces sites exploités par l’homme n’ont donc été boisés que plus tard, intentionnellement, au cours du Moyen Âge.

Du 11e siècle à la Révolution, la notion de forêt est intimement liée à celle de château, à une seigneurie majeure ; Laval, Vitré, Craon, etc. ont leur « forêt ».

  1. Pichot précise qu’entre le 11e et le 13e siècle, il y a une forêt entre Laval et Vitré que l’on retrouve sous les noms de forêts de Concise, de Frageul, du Pertre. Les Laval organisent un vaste ensemble : abbaye cistercienne de Clermont, château de la Gravelle. Cette « forêt » partiellement boisée est décrite dans une charte comme « les prés qui sont sur les landes de la forêt du Pertre», ce qui montre la différence avec le sens actuel du mot forêt.

La forêt est vivante : elle accueille les ermites mais aussi les travailleurs du bois. C’est une zone de ramassage du bois mort, de coupes mais aussi d’élevage des porcs, des bovins et des chevaux. La forêt à cheval sur la frontière est cogérée par les Laval et les Vitré. Au 13e siècle, l’usage a abouti à trop de destructions : les Laval divisent alors le territoire en « breuils » qui permettent l’exploitation de manière rationnelle.

J-C. Meuret ajoute que nombre de personnes vivent des revenus des landes sur lesquelles on ne peut habiter ; ces terres sont communes et exploitées par des « frarèches ».

C’est encore J-C. Meuret qui répond à la question : qui sont les ermites ?

L’érémitisme est lié aux régions distantes des centres politiques ou épiscopaux. Les ermites sont des marginaux au sens spirituel. L’ermite isolé est un mythe fabriqué par les instituteurs laïcs et les prêtres. En réalité, l’ermite est à l’origine de l’aménagement de territoires : il fonde une chapelle, un cimetière est bénit, une communauté s’installe, préfigurant la paroisse.

Puis la notion de frontière est développée par D. Pichot. La frontière linéaire aurait supposé une maitrise de la cartographie. L’idée d’une séparation entre les Riédones et les Diablintes qui aurait évolué en frontière diocésaine, puis départementale, doit être reconsidérée. La conception de l’espace au Moyen Âge n’est pas la nôtre : les limites sont plutôt des marges où s’exerce un pouvoir. La frontière se précise au 15e siècle et plus tard on parlera de la limite de gabelle, véritable frontière économique.

  1. Naveau interroge G. Leroux pour savoir si, d’un point de vue archéologique, la zone qui nous concerne lui semble réellement coupée en deux.

La réponse immédiate est non. Pour la période -400 à -100, un secteur à cheval sur la frontière a livré 150 enclos partagés entre les bassins de la Seiche et de l’Oudon. Ce type d’enclos est bien spécifique à ce secteur, si l’on excepte un cas dans le Morbihan et un autre en Sarthe. Le même type de structure se retrouve au Moyen Âge avec les mottes castrales. Toutefois l’interprétation d’un type architectural de part et d’autre d’une « frontière » est problématique. Elle doit se faire avec prudence car il y a des échanges entre peuples voisins.

J-C. Meuret est interrogé sur les relations qui existaient de part et d’autre de la frontière. Une frontière doit être étudiée des deux côtés. Elle est une zone d’échange, de porosité et parfois de conflits. Les halles ou « cohues », lieux de marchés et de justice, sont le long et de part et d’autre de la frontière. Les échanges sont aussi religieux, culturels, ils concernent également l’architecture et les matériaux comme l’ardoise. La frontière est une activatrice d’échanges.

Finalement, la présence d’une zone de faible peuplement est-elle limitée à l’ouest ou révélatrice d’une situation sur l’ensemble du Bas-Maine ?

  1. Pichot répond que le Bas-Maine n’est pas très peuplé à l’époque médiévale ; la densité de répartition des mottes est très inégale. Le bassin de Laval semble privilégié ainsi que le nord de Craon. Toutefois il existe peut-être aussi un problème de recherche et de sources. Le peuplement s’accentue à l’époque féodale mais le défrichement est plus marqué dans le nord-ouest. La présence de mégalithes indique que le peuplement de ces zones est très ancien.

 

En conclusion par les trois intervenants, il faut retenir qu’il n’y a pas de frontière naturelle dans le secteur concerné et que ce secteur n’a pas été anciennement un désert humain. La frontières et la forêt sont des faits humains qui ont été mis en avant au 19e et au début du 20e siècle, notamment en Bretagne, à des fins idéologiques et identitaires qui n’ont plus rien à voir avec les réalités historiques. On ne pourra progresser dans ces recherches sur le peuplement, qui ont la faveur du public, que par un travail conjoint des historiens et des archéologues.

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