Roger BOUILLON

Roger BOUILLON (1940- 2008)
 
Le département de la Mayenne vient de voir s’éteindre l’un de ses enfants les plus attachés à l’archéologie préhistorique. C’est dans la nuit du vendredi au samedi 27 avril que Roger Bouillon est décédé des suites d’une longue maladie. Pourtant, son travail, fondamental pour la Préhistoire de l’ouest de la France, survivra sans peine.

Né le 25 septembre 1940 à Saint-Berthevin en Mayenne, Roger Bouillon poursuit un cursus vers l’enseignement qui l’amène à sortir diplômé de l’École Normale de Rennes (Ille-et-Vilaine) en 1962. Dès lors instituteur, il poursuit des études à la Faculté des Lettres de Rennes. En parallèle, il crée la section spéléologique de l’association « Mayenne-Sciences ». Ainsi, c’est le 11 juin 1967 que Roger Bouillon et son équipe découvrent ensemble une grotte ornée à Thorigné-en-Charnie (Mayenne) à laquelle il va donner, par fidélité à l’association dont il était l’un des moteurs, le nom de Mayenne-Sciences. Comme il l’écrit lui-même, « c’est cet événement qui déclenchera sa vocation de préhistorien et d’archéologue », à tel point qu’il y consacrera de nombreux travaux, publié notamment dans l’Atlas des Grottes ornées, sous la direction d’André Leroi-Gourhan.

À l’université, il sort titulaire d’une maîtrise de Géographie en 1968. Trois ans plus tard, il devient professeur certifié et enseignera 29 ans dans le même établissement, le collège Pierre Dubois à Laval.

Pourtant, c’est bien sa place dans l’archéologie départementale de la Mayenne que l’on retiendra de lui. En effet, suite à la découverte de Mayenne-Sciences, il assure le rôle de correspondant départemental des Antiquités préhistoriques, sous l’impulsion de J. L’Helgouac’h et ce, pendant treize ans. Durant cette période, il se frotte aux méthodes de terrain, notamment sur le site du Camp d’Auvours à Champagné (Sarthe), sous la direction de Michel Allard, J. L’Helgouac’h et Guy Verron. Puis, de 1978 à 1982, il dirige la fouille de la sépulture à entrée latérale du Petit Vieux Sou à Brecé (Mayenne), dont il publie les résultats dans la Revue Archéologique de l’Ouest en 1988. Le grand apport de Roger a été de mettre en lumière des types d’architecture dont on ignorait jusque là l’existence en Mayenne, comme les sépultures mégalithiques à entrée latérale du 3e millénaire avant notre ère. Ses travaux sur ce monument s’avèrent encore maintenant essentiels pour la compréhension de ce type architectural, comme en témoigne la place qu’occupent ses résultats dans la synthèse régionale Préhistoire de la Bretagne, publiée par MM. Monnier, Giot et L’Helgouac’h, juste reconnaissance pour ce chercheur dont les travaux trouvent ici toute leur place. Par la suite, il se fera une spécialité des sépultures mégalithiques du Néolithique final. Ainsi, il fouille, de 1984 à 1986, l’allée couverte de la Cote 197 (maintenant appelée de la Crète) à Vautorte. Il publie plus tard le résultat de ses travaux dans La Mayenne, archéologie, histoire en 1998. Vont suivre ensuite les fouilles inédites de la sépulture à entrée latérale de la Hutte aux Gabelous à Saint-Mars-sur-la-Futaie (de 1990 à 1993) et de l’allée couverte de la Hamelinière à Chantrigné (de 2000 à 2003).

Attaché à la restitution au public de ses travaux, Roger a toujours souhaité restaurer les monuments dont il a dirigé les fouilles. Pour lui, un mégalithe n’est pas seulement un sujet d’étude. C’est aussi un patrimoine à transmettre, à nos contemporains et à nos successeurs.

De Roger, nous retiendrons ses travaux, ses apports au patrimoine de la Mayenne, mais aussi d’abord sa personnalité. Il avait la modestie d’un vrai scientifique, il n’a pas cherché les honneurs. L’un de ceux qui poursuivent son travail à Saulges disait à l’un de nous combien il avait été frappé par la manière toute naturelle, par la chaleur humaine avec laquelle Roger avait accepté que l’on reprenne son travail sur la grotte Mayenne-Sciences, sans s’arcbouter sur ses conclusions antérieures, en acceptant de tout cœur qu’elles soient soumises à nouveau au contrôle de la recherche et qu’elles soient corrigées par des données nouvelles. Voilà ce qui définit un vrai scientifique : sa modestie devant l’avancée de la science, le refus de se poser comme celui qui conclut.

Ce témoin disait aussi l’intense émotion qu’a vécue Roger lorsque des prélèvements sur les peintures pariétales de Mayenne-Sciences ont permis, enfin, de les dater par le carbone 14 : 25 000 ans. C’était, après des années d’attente, l’aboutissement de ses propres recherches, et peu importe si cette conclusion était tirée par quelqu’un d’autre. C’est aussi pourquoi, en retour, il a été associé aux travaux qui se sont poursuivis jusqu’à maintenant en Mayenne.

Suite à des difficultés administratives lors de sa dernière fouille, couplées à un terrible accident, Roger Bouillon décide de mettre un terme à ses travaux de recherche. Pourtant, il montrera toujours son intérêt pour la discipline. Ainsi, quand l’un de nous lui proposa de participer à un programme de prospection thématique sur l’utilisation de la dolérite en Mayenne au Néolithique, Roger répondit avec enthousiasme.

Mais c’était sans compter sur la maladie qui l’attrapa sans crier gare, lui qui n’avait jamais fait d’autres excès que le sport. Ainsi, il ne put guère participer à plus d’une de ces prospections. En novembre 2007, bravant la fatigue, il offrit aux membres de l’équipe dolérite une superbe journée de visite de quelques monuments mégalithiques de Mayenne. À cette occasion, il nous montra sa ténacité et son enthousiasme toujours intact pour cette discipline qui l’a tant passionné.

Peu de temps avant son décès, sur son lit, fatigué, il a fait part de ces derniers mots pour la communauté archéologique qui l’avait accueilli et reconnu : « Merci, merci à tous ».

Et pourtant, c’est nous-même qui devons le remercier. En effet, Roger est caractéristique d’une génération de bénévoles qui a créé l’archéologie française et à qui les professionnels du patrimoine doivent la reconnaissance de leur discipline. Tout ceux qui ont connu les joies et les difficultés de l’archéologie dite « amateur » savent ce que nous devons à son dévouement et à son courage. Par ses découvertes et par la manière à la fois compétente et modeste dont il les a partagées, il a contribué à donner de la recherche en Mayenne une image positive.

Jacques NAVEAU

Les commentaires sont clos.