St Hinguant

Actualité des recherches préhistoriques dans les grottes de la vallée de l’Erve

Par Stéphan Hinguant (ingénieur de recherche INRAP et UMR 6566 du CNRS Rennes)

Sréphan Hinguant
Les témoignages les plus septentrionaux de l’extension du Solutréen

La vallée de l’Erve fait l’objet de recherches préhistoriques pluridisciplinaires depuis 1999, menées par l’UMR 6566 du CNRS (Rennes). Les grottes qui caractérisent le petit karst qu’elle traverse ont effectivement été occupées par les groupes de chasseurs-cueilleurs au moins depuis le Paléolithique moyen et recèlent des vestiges rarement mis au jour sur le massif armoricain. Parfaitement conservées malgré les nombreuses fouilles anciennes qui ont se sont déroulées sur le site, les couches archéologiques mises au jour témoignent des environnements qu’ont connus ces groupes humains, de leurs activités et savoir-faire ou encore de leur préoccupation symbolique.

 

Les activités de taille et de boucherie dans la grotte Rochefort

La couche préhistorique la plus récente fouillée dans la grotte Rochefort est une petite occupation qui a permis de restituer l’environnement faunique et la panoplie de chasse d’un groupe humain ayant fréquenté la grotte à la fin de la dernière glaciation, vers – 11000 ans. Renne, cheval, petits carnivores (renard polaire, loup…), mais aussi rongeurs et poissons étaient aux menus de ces derniers chasseurs-cueilleurs, dont on a également retrouvé l’outillage en silex. Depuis 2006, ce sont les niveaux du Solutréen qui font l’objet des recherches dans la grotte Rochefort, pour lesquels les premiers résultats sont tout à fait encourageants.

grotte Rochefort, fouille en cours du niveau solutréen (cliché Rozenn Colleter)

Grotte Rochefort : plaquette de calcaire gréseux gravée d’une tête de bouquetin, couche solutréenne (cliché Hervé Paitier)

Le Solutréen semble être la culture matérielle la mieux représentée à ce jour dans les couches paléolithiques de la grotte, avec des datations 14C plaçant les occupations entre 19320 ? 90 et 20090 ? 100 BP. Les niveaux en cours de fouille indiquent que les hommes ont pratiqué des activités de taille et de boucherie dans la grotte elle-même. Outre l’outillage, on note ainsi la présence de nombreux éclats de façonnage de feuilles de lauriers, d’esquilles et pièces osseuses fragmentées ou présentant des traces de fracturation standardisées et des stries liées à la découpe ou encore des fragments d’os brûlés.

Un remarquable bouquetin

Eléments de parure et art mobilier sont également présents, comprenant notamment des os incisés et des plaquettes gravées, dont une remarquable représentation d’un bouquetin. Même si aucun aménagement de sols ni aucune structure (de type foyer par exemple) ne viennent pour l’instant confirmer l’existence de véritables niveaux d’habitat, les éléments mis au jour accréditent ainsi la pratique d’activités domestiques et artistiques dans la cavité. Le corpus faunique (y compris les micromammifères), pour lequel il faut souligner la remarquable qualité de conservation des vestiges osseux, est varié. Il est cependant dominé par le renne et le cheval et témoigne dans son ensemble d’un environnement ouvert, froid et sec.

Un niveau du Pléistocène moyen à la base du gisement ?

Devant les entrées de la grotte de la Chèvre, un vaste cône d’éboulis scelle le pied de falaise. Ce sont ces dépôts qui recèlent les niveaux attribués au Pléistocène supérieur, fouillés partiellement par l’abbé Maillard (1876) et Raoul Daniel (1932), fournissant les premiers éléments d’ordre stratigraphique sur ce site. Celui-ci demeure des plus intéressants car les données stratigraphiques, confirmées pour partie par les sondages archéologiques réalisés en 1999-2000, montrent que la quasi-totalité de la séquence du Paléolithique supérieur est représentée. Les cultures magdalénienne, solutréenne, gravettienne et aurignacienne mais également des occupations attribuables au Paléolithique moyen sont ainsi reconnues à partir d’éléments mobiliers caractéristiques. Plus anciens encore, des fossiles d’une faune du Pléistocène moyen, c’est-à-dire au-delà de 150 000 ans, ont été récemment découverts sur le site. Il s’agit d’un fragment de canine d’Homotherium latidens, le fameux « tigre à dents de sabre », et d’une molaire de Dama clactoniana (daim de Clacton). Ces découvertes ont été confirmées par la mise au jour en 2007 de deux dents de chevaux, l’une appartenant à Equus altidens et la seconde attribuable à Equus sussenbornensis. La présence de ces fossiles dans le remanié des fouilles du XIXe siècle de la grotte de la Chèvre indique donc qu’il existe peut-être encore un niveau du Pléistocène moyen à la base du gisement, non identifié à ce jour. Nous ignorons cependant s’ils témoignent de l’existence d’un simple repaire de carnivore où bien s’ils proviennent d’une occupation de la grotte par des Anté-néandertaliens.

Grotte Rochefort : Pointe de type « feuille de saule » en grès lustré (cliché Miguel Biard)

Outre l’étude des séquences du Pléistocène supérieur, la recherche d’un niveau attribuable au Pléistocène moyen sera donc un fil conducteur à ne pas négliger lors des campagnes de fouilles ultérieures sur ce site. L’opportunité tout à fait exceptionnelle de pouvoir mettre au jour des vestiges humains, lithiques et osseux de cette période pour l’Ouest de la France serait, de fait, unique.

Grotte Rochefort : vestiges osseux de deux pattes d’ours brun (Ursus arctos), couche solutréenne (cliché Pierre-Elie Moullé)

Un gisement au potentiel prometteur

Avec les occupations de la vallée de l’Erve, nous avons pratiquement affaire aux témoignages les plus septentrionaux de l’extension du Solutréen. Outre sa géographie, l’originalité et la qualité du site tiennent dans la nature des matériaux lithiques exploités, la conservation des restes osseux, exceptionnelle dans le Massif armoricain, et la présence d’art mobilier. La perspective d’obtenir de nouvelles informations sur cette culture matérielle, d’établir un corpus faunique inédit pour le Pléistocène supérieur de l’Ouest de la France, comme de bâtir une séquence chronostrati­graphique fiable du Paléolithique supérieur de cette région, ne peuvent donc qu’encourager les recherches en cours.

Quant aux fouilles conjointes des grottes de la Chèvre et de Rochefort, elles se voient pleinement justifiées par la proximité des deux sites qui ont été, selon toute vraisemblance, occupés aux mêmes époques. Pour la période solutréenne, c’est-à-dire durant le Pléniglaciaire, nous aurons ainsi l’occasion de comparer les types d’activités entre un habitat en grotte et un habitat en plein air. Par ailleurs, la puissance des dépôts du talus d’éboulis de la grotte de la Chèvre est aussi à prendre en compte puisqu’elle va permettre de réaliser une séquence stratigraphique sans doute continue pour le Pléistocène supérieur, voire une partie du Pléistocène moyen. Ce seront donc sûrement plusieurs campagnes de fouilles qu’il faudra consacrer à l’étude de ce gisement au potentiel prometteur.

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