Ernée

Blandine Chrétien, Jacques Naveau et Yves Floch
Gérard Lemonnier, maire d’Ernée

Excursion à Ernée : Dimanche 29 mai 2011

L’église de Charné
le retable

L’origine d’Ernée

La position excentrique de Charné par rapport à Ernée (même cas que Pritz à Laval et Saint-Martin à Montsûrs : site primitif/site castral du 11 è siècle) s’explique mieux en considérant le tracé d’une voie antique et la présence d’une occupation romaine.

Des voies antiques

Une voie antique Nord-Sud passe devant l’église de Charné. Son itinéraire : région de Mortain, région de Buais, Charné, près de Chailland, forêt de Concise à l’ouest de Saint Berthevin, puis plus au sud vers Astillé et la Ferrière-de-Flée. selon Albert Grenier, tradition d’un « chemin de Cocaigne » reliant le Cotentin à Saintes (Cocaigne = Gascogne). On constate plusieurs variantes d’un même itinéraire Nord-Sud dont on peut au moins dire qu’il relie le Cotentin à Angers. Il existe un autre tracé Nord-Sud à l’ouest d’Ernée qui rejoint la voie Avranches-Angers. Au sud de Charné, ces voies coupent la voie Jublains-Corseul.

Des sites romains

Des tuiles romaines ont été trouvées à Charné, mais ce site n’est pas isolé.

A la Boissière, une « villa » romaine a été partiellement fouillée en 1847, 1854, 1885-1887 et 1920. On y a trouvé des enduits peints incrustés de petits coquillages et en 1932, un dépôt de plus de 1200 monnaies : 6 bronzes du Haut-Empire, des antoniniani de Gordien III à Tétricus, un exemplaire de Probus (276-282) et des imitations.

Au Petit-Fay, dans un atelier de tuilier gallo-romain, on a retrouvé des tuiles à rebords collées et déformées par une surcuisson. Elles sont conservées au musée d’Ernée.

Sept autres sites sont répertoriés : les Rondellières, le Pont-de-Carelles (mur en petit appareil), le Grand Livray, la gare (peson en terre cuite et une dizaine de monnaies dont un Victorin), Vahais, la Contrie, Riparfond (grand nombre de monnaies romaines à l’emplacement d’un gué sur l’Ernée).

Hypothèse d’une agglomération secondaire gallo-romaine, malgré l’absence pour le moment de bâtiments publics ? Peut-être un vicus gouvernant un pagus diablinte à l’ouest de la Mayenne ? L’inscription de la borne de Châtillon montre que le territoire diablinte se continuait à l’Ouest de la Mayenne. Le nom ancien, Erneia, ne nous apprend rien puisque c’est celui de la rivière.

L’église de Charné

Il est fait pour la première fois en 1145 mention d’une église retirée de mains laïques et donnée au chapitre de la cathédrale du Mans par l’évêque Guillaume de Passavant. on a à faire à un édifice à transept (?) avec des reprises du 13 è  (chapiteaux de la croisée, consoles) avec une influence normande (chevet plat, type des culots). Les fenêtres sont flamboyantes. La chapelle sud du 16 è donne sur le transept et sur le chœur. La chapelle nord a été construite ensuite.

La nef a été démolie en 1697 après la construction de l’église centrale d’Ernée pour éviter des revendications ou des concurrences. Désaffectée et menacée de destruction pendant la Révolution, elle est rachetée en 1808 par des fidèles (Anne Vauloup).

Des peintures murales Renaissance sont encore visibles dans le transept nord : une résurrection sur le mur est près de l’autel, ainsi que des tentures.

Le retable de la Vierge est daté 1606. C’est l’ancien retable du maître-autel, offert par le curé Jehan de Mégaudais (fils du seigneur de Pannard), et transféré dans le transept nord en 1860 à l’occasion d’une campagne de réfection du chœur. L’autel de marbre a été ajouté à ce moment. Ce retable se situe entre les œuvres de la Renaissance conservées à Hambers, à Vimarcé et au Horps et l’éclosion du retable lavallois vers 1630. Il est exactement contemporain du retable de Sainte-Anne (initialement Saint-Jérôme) à Saint-Vénérand. De 1580 à 1620, les retables se multiplient dans l’esprit de la Contre-Réforme : 2 à Avénières en 1580, 6 à Saint-Vénérand de 1600 à 1620, 1 au Horps en 1600, 1 à Saint-Denis-du-Maine en 1612, …

Le retable de Charné reste modeste dans son exécution : tuffeau, pas de marbre d’Argentré ou de Saint-Berthevin, alors que ce matériau est déjà largement employé à Laval. Le massif central est peu décoré. L’ensemble, selon Jacques Salbert, demeure encore renaissant. Néanmoins, les frontons rompus à enroulement encadrant le fronton central, les rinceaux de l’entablement, l’ébauche de guirlandes préfigurent déjà le retable lavallois.

Jacques Naveau

L’hôpital
porte du couvent
L’église Notre-Dame

Avant de quitter le sanctuaire, Yves Floch montra la plaque qui recouvre les restes des victimes de la Terreur qui furent transférés ici en 1814 et commenta rapidement le vitrail moderne qui évoque les nombreux pèlerinages et processions dont la vierge de Charné était l’objet au 19 è siècle et jusqu’à la dernière guerre. La traversée du petit cimetière en contournant l’église permit encore de découvrir de nombreuses tombes anciennes armoriées appartenant à des familles nobles ou des notables du pays d’Ernée et aussi celle d’Anne Vauloup, modeste servante dont la générosité sauva l’église après la Révolution.

Notre groupe se rend ensuite à l’ancienne « Maison-Dieu », vaste ensemble immobilier situé à l’entrée Est du centre historique où ne pourrons pas entrer en raison d’une vente récente. Yves Floch en résume la longue histoire : l’établissement est attesté dès 1284 par une transaction entre Henri d’Avaugour, seigneur de Mayenne et Ernée, et les habitants de la ville qui gardent le droit de nommer les administrateurs de ce modeste asile de dix lits destiné aux passants ou pèlerins indigents. En 1297, l’abbé Richard Morin donne tous ses biens pour fonder la chapelle dédiée à saint Antoine et l’aumônerie, sec réservant le tiers des revenus et cumulant cette charge avec celle d’administrateur. Cette confusion engendre un procès en 1624, intenté par la commission Royale de Réformation des Hôpitaux : Nicolas de Longueil, juge de la maréchaussée du Maine, laisse la compétence au bailli d’Ernée, arrêtant que les deux administrateurs, élus tous les trois ans par l’assemblée des habitants, rendraient leurs comptes devant six des notables de la ville. Dès lors la situation matérielle s’améliora beaucoup au 18 è siècle grâce aux donations de la famille Le Jariel en 1676 et surtout en 1677 à l’arrivée de sœur Marguerite Lair de l’ordre de Citeaux, qui installe un hôpital de vingt lits avec une petite communauté de sœurs hospitalières augustines de Vire, puis en 1699 à l’annexion des biens de l’ancienne maladrerie Saint Georges supprimée par le roi, enfin en 1701 par la réunion des biens de l’aumônerie désormais rétribuée au taux annuel de 150 livres par an. Un acte d’échange de 1767 clarifiait les rapports de l’hôpital dont les habitants d’Ernée restent patrons avec la communauté religieuse. Il permit, sous l’impulsion d’un administrateur dévoué et compétent, Julien-François Jeudry, la reconstruction totale des bâtiments tels qu’ils se présentent aujourd’hui. La communauté s’ordonne autour d’une vaste cour carrée, édifice sobre mais élégant appareillé en granit « rouillé » à la chaude couleur ; les bâtiments hospitaliers sont plus disparates mais utilisent le même matériau. La chapelle, garnie de jolies boiseries, est ornée d’un cartouche représentant Saint Georges au dessus de son portail. L’existence de cet établissement florissant de cinquante lits est mise en cause avec la Révolution qui souhaite vendre ces biens qualifiés de « nationaux ». Sur requête des sœurs justifiée par les services rendus à la population, les officiers municipaux obtiennent des autorités du District en janvier 1793 un sursis mais la congrégation doit quitter les lieux en février 1795 et ses biens sont vendus en août. La misère fut telle que les indigents durent aller mendier leur pain et celui des malades en ville. Les sœurs s’avérant difficiles à remplacer, les habitants d’Ernée obtinrent du Préfet en 1801 le retour de sœur sainte Claire et de quelques religieuses dont le dévouement remit en route l’hôpital. En 1819, ne pouvant suffire à la tâche, elles furent remplacées par les religieuses hospitalières de saint Joseph de Laval qui, avant la dernière guerre, étaient au nombre de vingt-cinq pour soigner plus de cent malades. Il y a une trentaine d’années, les progrès de la médecine et de la chirurgie ont nécessité la reconstruction d’un nouvel hôpital, puis d’une maison de retraite sur la route de Mayenne. L’ancienne « Maison-Dieu » reste un modèle bien conservé de l’architecture locale du 18 è siècle et un témoin privilégié du riche passé historique de la ville d’Ernée.

Suivant alors l’ancien tracé de la route royale de Paris à Saint-Malo, Mme Chrétien et Yves Floch nous guident en empruntant l’actuelle rue de l’amiral Courbet, bordée d’un alignement de façades typiquement 18 è en granit appareillé. Cette densité d’hôtels particuliers s’explique par la présence à Ernée d’un baillage, juridiction seigneuriale qui y attire tout un monde d’« officiers de justice » (lieutenants civil et criminel, avocats, procureurs, huissiers et greffiers) ; ceux-ci ont à cœur d’y édifier à partir du 18 è siècles de belles demeures. ils sont rejoints par de nombreuses familles nobles des environs qui passent l’hiver « en ville ». Un petit écart sur la droite permet ensuite de passer devant l’hôtel de la Massonnais avant d’arriver à l’ancien couvent des dames bénédictines, fondé en 1631 pour développer l’éducation des jeunes filles par mgr Charles de Beaumanoir sur un terrain du faubourg de Belle-plante offert par Pierre du Bailleul qui fit aussi don des matériaux. Du modeste monastère, la chapelle a été récemment détruite, mais il reste un beau portail daté 1641, l’ancienne salle capitulaire et un vaste bâtiment coiffé d’un campanile, le tout soigneusement restauré et transformé en habitation particulière. Les religieuses furent chassées en 1792 et leur couvent abrite les séances de la commission révolutionnaire Clément (du nom de son président) dont le sinistre procureur Volcler était le pourvoyeur de la guillotine. La vente de ce « bien national » eut lieu le 10 août 1795.

La promenade reprend pour nous mener à l’église paroissiale Notre-Dame, construite en dix ans de 1687 à 1697, pour pallier à l’éloignement du sanctuaire de Charné, à l’emplacement de son ancien château donné par le seigneur d’Ernée, le duc de Mayenne Mazarin. seul le clocher est postérieur, élevé en 1883 par le célèbre architecte Hawke. transformé en « temple de la Raison » par le maire Marat Quentin en 1794. Vaste mais récemment surbaissé par un faux plafond, l’intérieur révèle un chœur tapissé de boiseries et une magnifique chaire en chêne massif. Cette église est l’exemple unique dans le diocèse d’un édifice religieux complet de la fin du 17 è.

Continuant notre chemin le long de l’ancienne route royale par l’actuelle rue Clouard, nous arrivons place de l’hôtel de ville où se dressait du 12 au 20 mars 1794 la guillotine qui fit 38 victimes dont deux sœurs de la Chapelle-au-Riboul, Françoise Tréhet et Jeanne Véron, et Jacques Vauloup, cultivateur de la Pélerine coupable d’avoir caché des prêtres réfractaires. autour de cette place, se trouvent deux des plus beaux hôtels 18 è, l’hôtel du Bois-Béranger et l’hôtel Boullier de Branche, et le musée local d’Ernée qui abrite les collections de la famille Delaunay.

Yves Floch

Le musée
Trésor monétaire
Haches
L’Hôtel de ville

Le musée

Ce musée a été constitué à partir de collections locales, surtout celles de la famille Delaunay, constituées entre 1880 et 1940. René Delaunay auteur de l’Histoire de la ville et du pays d’Ernée, publiée par fascicules de 1924 à 1940. Cette activité coïncide avec deux moments forts : la restauration de l’allée couverte de la Contrie par la SAHM en 1889 et la découverte du trésor de la Boissière en 1932. Les Delaunay ont aussi rapporté à Ernée des objets de fouilles extérieurs : céramiques gallo-romaines de la région de Vichy, outils préhistoriques du Poitou (René Delaunay a été juge d’instruction à Niort). Ce musée a été réorganisé il y a une trentaine d’année sous l’impulsion de M. Garrus. Malheureusement beaucoup d’objets n’ont pas d’étiquette et leur provenance est perdue.

On peut y voir :

– des collections géologiques de provenance inconnue, en général extérieure à la région. A remarquer de la stibine (minerai d’antimoine) venant des mines du Genest.

– pour la Préhistoire, des bifaces moustériens, des objets locaux (pointe de poignard de la Contrie (vers 2000 ac), une pendeloque et deux pointes de flèche du Petit-Fay), des haches néolithiques, un poignard de Vautorte, des haches polies, …

– pour l’âge du Bronze : des haches à douille, le dépôt de Saint-Mars-la-Futaie découvert en 1908 (haches de type Couville, plomb au lieu d’étain, non emmanchées). s’agit-il de lingots pré-monétaires ?

– des céramiques sigillées, productions de la Gaule romaine, surtout 1 er et 2 è siècle, de provenance inconnue.

– l’époque gallo-romaine à Ernée et en Mayenne : un modillon en terre cuite, un décor mural de la domus de la Boissière, des marbres du temple de Jublains, des ratés de cuisson de l’atelier tuilier du Petit-Fay, …

– des monnaies romaines : une partie du trésor de la Boissière découvert en mars 1932 près de la domus comprenant plus de 1200 monnaies, enfoui sous Probus (276-282), publication faite par René Delaunay puis par Gérard Aubin.

– des céramiques médiévales de provenance inconnue.

– des céramiques médiévales à œil de perdrix de Laval : atelier de potier médiéval de la Hardelière à Saint-Pierre-le-Potier découvert par l’un des frères Delaunay en 1886.

– des pavés estampés de Ruillé-le-Gravelais (16è-17è s), des armoiries sur bois provenant sans doute d’Ernée (17 è s ?).

– des collections diverses : vierges populaires du 19 è s, des cadrans solaires, des anges en bois, des minéraux, …

Jacques Naveau

L’Hôtel de Charné
salle Constant Martin

La fin du tracé urbain de l’ancienne route royale nous amène à la sortie Ouest du centre historique, après un court arrêt à l’hôtel de Hercé, où est situé l’hôtel de Charné, le plus ancien d’Ernée, daté 1657 sur son portail décoré de pots à feu. Dans son prolongement se trouve encore l’ancienne prison où s’entassaient les faux-sauniers sous l’Ancien Régime, les Chouan sous la Révolution et les déserteurs sous l’Empire, tous nombreux sur les marches de Bretagne.

Mais il est temps de regagner la salle des Fêtes Constant Martin où nous attend M. Gérard Lemonnier, maire d’Ernée. Il nous présente cet édifice de 1911 qui tire son nom d’un ancien maire d’Ernée qui, souhaitant offrir un local de délassement aux nombreux salariés attirés à Ernée par l’essor de l’industrie de la chaussure, fut influencé dans la décoration par le contexte politique de l’époque.

De sympathiques rafraîchissements, très appréciés en cette chaude fin d’après-midi, donnèrent à tous l’occasion d’exprimer nos chaleureux remerciements à la municipaité d’Ernée pour son bienveillant accueil.

Yves Floch

 

 

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