Conférence du 11 janvier : la renaissance du vitrail au XIX ème dans l’ancienne province du Maine

par Stéphane Arondeau, docteur en Histoire, Université du Maine et maître verrier

 

Après deux siècles d’abandon l’art du vitrail va renaître, au XIXe siècle, en raison du renouveau de la foi catholique et d’une redécouverte des vertus de l’art médiéval. Cette renaissance s’opère au Mans, à partir de 1844, pour rapidement s’étendre à l’ancienne province du Maine puis à l’ensemble du territoire national. Les ateliers jouent un rôle majeur dans cette aventure tout comme les architectes, à l’instar de Delarue qui opéra aussi bien en Sarthe qu’en Mayenne.

Pierre-Félix Delarue était architecte diocésain et départemental en Sarthe, architecte départemental de l’Orne, tandis que le préfet de La Mayenne le considère également comme étant l’architecte de son administration (1) ! Il fut surtout le principal acteur de la renaissance de l’art du vitrail dans l’ancienne province du Maine. Au chevet de la cathédrale du Mans, il fixe des priorités d’interventions. Le chantier est gigantesque et l’état de verrière de la façade occidentale est lui particulièrement préoccupant. Mais nul, au Mans, ne possède les compétences techniques pour réaliser une telle restauration de vingt panneaux du XIIe siècle relatant la vie de saint Julien. Delarue sollicite alors la Manufacture de porcelaine de Sèvres, et François Fialeix arrive au Mans, en 1840, pour transposer sur verre les techniques des céramistes (2). Selon la presse locale, l’opération est un véritable succès que nous ne pouvons pas évaluer aujourd’hui, en raison d’interventions ultérieures qui ont dénaturé l’ensemble. Mais Delarue, particulièrement actif sur les territoires dont il a la responsabilité, s’empresse de confier à Fialeix, désormais associé au peintre manceau Châtel, au sein de la Manufacture du Mans, de nombreux chantiers de création de vitraux peints. Ainsi, en 1843 achève-t-il la réalisation de la première église néo-gothique du département de la Sarthe, à Ecommoy, dont le chœur est orné de vitraux de Fialeix. Si l’inventaire exhaustif des réalisations de ce premier atelier de peinture sur verre sarthois du XIX° siècle est en cours de réalisation, l’étude de nombreux ensembles sarthois et mayennais, citons pour exemple les églises de Bonnétable (72), de Vallon-sur-Gée (72), de Meslay-du-Maine ou bien encore de la cathédrale de Laval, tend à démontrer que la Manufacture du Mans ne parvient pas à maîtriser parfaitement la reproduction des techniques médiévales de l’art du vitrail notamment au niveau du traitement pictural.

Antoine Lusson, maître verrier manceau, lui aussi acteur essentiel de ces années charnières dans l’histoire du vitrail, réalisa, en 1844, pour l’église Notre-Dame-de-la-Couture au Mans, la première verrière archéologique néo-gothique de France !

Verrière de Lusson, Le Mans, 1844

Verrière de Lusson, Le Mans, 1844

Verrière de Lusson, cathédrale de Laval

Verrière de Lusson, cathédrale de Laval

Verrière de Lusson, église de Meslay-du-Maine

Verrière de Lusson, église de Meslay-du-Maine

 

Ce succès technique et iconographique fut salué par les plus hautes autorités compétentes parisiennes. Porté par un subit engouement commercial, Antoine Lusson n’hésita pas à reproduire de nombreuses fois, le carton de cette verrière, dessiné par un artiste anglais, Henri Gérente. Si parfois ce style archéologue de ce modèle n’était pas parfaitement en accord avec l’architecture de l’édifice ou même de la baie destinée à l’accueillir, quelques aménagements de la composition ne retiraient rien à un effet d’ensemble, à la mode à cette époque. Cette décennie de recherches et d’expériences imposa la cité mancelle comme étant le nouveau centre névralgique de l’art du vitrail. De l’Europe entière on vient au Mans observer ou participer à cette effervescence. Cependant, d’autres villes devinrent rapidement de grands centres de production de vitraux peints. Un seul atelier manceau parvient à se singulariser : La Fabrique de vitraux peints du Carmel du Mans. En effet, sans jamais renier leur engagement religieux, et tout en respectant scrupuleusement les règles de vie austère de l’ordre de sainte Thérèse, les Carmélites mancelles réalisèrent les vitraux de leur chapelle, avant de faire commerce de cet art ! Sans aucune initiation ou apprentissage préalable ! Le succès fut immédiat. Les commandes affluèrent, provenant de Sarthe, de la France entière, puis d’Europe, du Japon et d’Amérique ! Elles durent se résoudre à cesser leur activité au lendemain de la guerre franco-prussienne, sur injonction de leur évêque : elles se devaient de respecter leur vœu de pauvreté…

Edouard Rathouis, neveu de la Mère Prieure du Carmel du Mans, racheta l’établissement, continuant ainsi à produire des vitraux signés Carmel du Mans alors même que les religieuses n’avaient plus aucun lien avec l’entreprise. La Fabrique de vitraux peints du Carmel du Mans fut ensuite cédée à Eugène Hucher qui associa à la conduite des affaires son fils Ferdinand. La signature Carmel du Mans perdura ainsi jusqu’à la fermeture définitive de l’entreprise, en 1903.

L’histoire de la renaissance du vitrail français au XIX° siècle s’enracine dans l’ancienne Province du Maine. Nombre de nos églises et de nos cathédrales recèlent des trésors qui sont autant de témoignages de l’audace des acteurs de cette époque. Cette importance historique se double, bien souvent, du charme de l’expérimentation, de l’inventivité technique et formelle d’une production méconnue lorsqu’elle n’est pas décriée…

Stéphane ARRONDEAU

  1. Damien CASTEL Pierre Félix Delarue (1795-1873) architecte ITF, 2013.
  2. Stéphane ARRONDEAU La Fabrique de vitraux peints du Carmel du Mans (1853-1903) Chronique d’une grande aventure Thèse de Doctorat, Université du Maine, 1997.

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