Sur le chemin montais

 

Excursion du 27 mai 2012
Le grand chemin du Mont Saint-Michel en Mayenne
Animation et compte-rendu par Jacques Naveau
Jacques Naveau

Saint-Martin de Connée

Si des pèlerinages au Mont-Saint-Michel sont attestés dès la fin du 9e s., les sources médiévales sont rares et ne permettent pas de mesurer l’ampleur du phénomène. On sait pourtant que certains pèlerins venaient de loin : Angleterre, Picardie, Flandre, Bavière, Italie.

Il ne faut pas attribuer au Mont tous les passages de pèlerins signalés dans notre région au hasard des documents, car il existait au moins deux autres destinations importantes : Saint-Méen en Ille-et-Vilaine, fréquenté pour les maladies de la peau, et Saint-Julien-de-Vouvantes en Loire-Atlantique.

Tous les chemins menaient au Mont. Toutefois, dès 1025 dans le pays d’Auge et dès le 12e s. en Mayenne, des itinéraires sont identifiés dans les textes comme viae Sancti-Michaelis, routes de Saint-Michel. L’expression de chemin montais ne se généralise qu’aux Temps modernes et l’on voit apparaître, à partir de 1526, la notion d’un « grand chemin montais » venant du Mans et passant par Mayenne. Son tracé est connu par la première carte routière de la région, celle de Jaillot (1706), qui indique, ce qui est exceptionnel chez lui, un tracé continu traversant le Bas-Maine (il accorde le même privilège à la route Sablé-Laval-Fougères, autre chemin montais). Mais rien n’interdisait au pèlerin de se détourner pour offrir ses dévotions à un lieu de culte à l’écart du chemin, par exemple à l’ermitage Saint-Michel du Montaigu.

Comme tous les chemins médiévaux, ceux du Mont résultent d’une formation progressive et sont l’addition, par l’usage, d’itinéraires de bourg à bourg. Il ne s’agit en aucun cas d’une création volontaire due à un pouvoir territorial, non plus que de l’utilisation de voies antiques. Sur 73 km en Mayenne, le grand chemin du Mans n’emprunte que 8 km de voies romaines, par petits bouts.

Le pèlerin ne traversait pas un désert. De Saint-Pierre-sur-Orthe à Landivy, il rencontrait 13 villes et villages, soit des étapes moyennes de 6 km, sans compter les intermédiaires : l’Hôtellerie du Teil près de Bais, attestée dès 1256, une autre hôtellerie au sud de Landivy, le prieuré de l’Abbayette à La Dorée appartenant au Mont… Le chemin serpente dans ce paysage très habité, utilisant parfois les chaussées d’étang pour franchir les vallées humides. Nous l’avons suivi au plus près, contraints parfois de sauter d’étape en étape dans les secteurs les plus détruits, d’autre fois en roulant pendant des kilomètres là où marchaient les pèlerins.

Le moulin neuf

De Saint-Martin-de-Connée à Mayenne

De l’église de Saint-Martin-de-Connée, où a débuté notre périple, nous voyons le chemin bien conservé gravir la côte en venant de Saint-Pierre-sur-Orthe.

L’église de Saint-Martin-de-Connée est un monument homogène datant pour l’essentiel du 16e s. Elle nous offre la seule représentation de saint Michel conservée sur le parcours : une peinture murale parmi les autres représentations de saints réalisées au 16e s. C’est l’un des ensembles peints les plus importants de la Mayenne.

Pour se rendre à Izé, le chemin emprunte au Moulin-Neuf la chaussée d’un étang disparu, ce qui constitue un exemple très caractéristique des détails du tracé. Il a déterminé des alignements de maisons à l’entrée d’Izé.

Puis, après un secteur de remembrement très poussé, nous parvenons à Bais, bourg dont la structure résulte du passage du chemin. Sur ce site très ancien mentionné dès 642, s’est constituée peu à peu une église représentative de beaucoup d’églises rurales du nord de la Mayenne, en particulier par ses files de pignons latéraux correspondant à des chapelles jointives formant bas-côté. Cette typologie, qui remonte à l’époque gothique et dont les Cordeliers ou Saint-Vénérand à Laval constituent de bons exemples, a été adoptée jusqu’au début du 17e s. dans cette région, comme l’indique la date de 1612 inscrite sur un pilier de Bais. D’une manière générale, le 16e s., en particulier sa seconde moitié, a été une époque très active de transformation des églises en Mayenne, avec prolongement au 17e s.

Puis notre groupe s’est rendu à l’Hôtellerie, qui nous a offert l’occasion d’observer la relation entre une voie antique et le chemin médiéval. La rencontre de ces deux routes a déterminé un conflit d’orientations dans le bâti du hameau. Le chemin montais emprunte la voie romaine sur une courte distance, juste ce qu’il faut pour traverser l’Aron, puis la quitte pour rencontrer d’autres segments de voiries anciennes, dans un secteur agricole constamment occupé depuis l’Antiquité.

Bais
L’Hôtellerie (Bais)
Le Teil

En se dirigeant vers le bois du Teil ou du Tay, le chemin longe un oratoire mentionné dès 1125 et reconstruit en 1815, puis atteint, en lisière du bois, la fontaine du Pèlerin, signalée par Jaillot en 1706.

Il faut le quitter à nouveau pour le retrouver dans le bourg de Grazay, qu’il aborde sous le nom de « rue des Diligences ». La chapelle Saint-Denis, au bord du chemin, est l’ancienne église paroissiale de Grazay. La création d’une route royale, puis la construction d’une nouvelle église en 1865, ont entraîné un déplacement du pôle de l’agglomération et du siège de la paroisse, la destruction d’une ancienne chapelle dédiée à saint Denis et le transfert de son nom vers l’ancienne église. Celle-ci a subi le même sort que Charné à Ernée ou que Saint-Martin à Montsûrs : on l’a amputée d’une bonne partie de son volume pour « inciter » les paroissiens à modifier leurs habitudes. Cela explique les arcades bouchées constituant les murs gouttereaux, traces d’une organisation qui devait, au 17e s., être identique à celle de l’église de Bais. Le bâtiment en tire un charme étrange, en même temps qu’il vaut d’être visité pour son mobilier : retable, statuaire populaire, etc.

Pique-nique au bois du Teil

En quittant la chapelle, le chemin montais passe devant une belle maison du 15e-16e s., qui aurait servi de relais de diligence, pour mener à une source ferrugineuse alimentant le lavoir de la Mère de Dieu.

Les traces du chemin montais sont infime entre Grazay et Mayenne et, considérant tout le parcours qui nous attendait, nous nous sommes rendus directement à Saint-Martin de Mayenne, faubourg par lequel le chemin abordait la ville en passant sous une Porte Montaise aujourd’hui disparue. Du parvis de l’église, le panorama sur la ville nous permet d’évoquer la formation de cette dernière à partir de bourgs nés au pied du palais carolingien, construit au début du 10e s. à l’emplacement d’une villa du haut Moyen Âge. Le chemin montais structure cette agglomération qui s’est étendue le long de son parcours, perpendiculairement à la rivière. Aujourd’hui encore, la rue du 130e RI, qui correspond au chemin, est l’axe du centre ancien. Le passage des pèlerins et les craintes qu’ils soulevaient dans la population locale font l’objet d’un arrêt municipal plutôt restrictif de 1668.

Grazay
Lavoir de Grazay
Charmille à Grazay

De Mayenne à Landivy

Autant les segments conservés du chemin sont rares à l’est de la Mayenne, autant ils deviennent prédominants à l’ouest. Pourtant, lorsque l’on va de Mayenne à Parigné-sur-Braye en traversant un environnement d’immeubles, d’ateliers et de ronds-points, il est difficile d’imaginer que l’on suit le pas des pèlerins. Mais le paysage devient plus évocateur à l’approche de Parigné.

Le chemin passe à distance de l’église romane et en bordure du bourg. Ce schéma, que l’on retrouvera à Châtillon-sur-Colmont et qui existe dans d’autres bourgs mayennais comme Parné-sur-Roc, est l’indice d’une organisation de l’espace antérieure au Moyen Âge. Parigné porte d’ailleurs un nom d’origine antique. L’église possède une nef de la première moitié du 11e s., prolongée par un chœur reconstruit à l’époque gothique.

Le temps dont nous disposons ne nous permet pas d’aller observer les traces, devenues modestes, du passage du chemin sur une chaussée d’étang à la Chaussée, près de la commanderie de Quittay (au nord de Saint-Georges-Buttavent). Nous préférons rejoindre directement Châtillon-sur-Colmont, en parcourant les derniers kilomètres (à partir des abords de la Petite-Frogerie) sur le chemin lui-même, devenu route départementale et très modernisé.

Saint-Martin à Mayenne
Parigné-sur-Braye
Châtillon-sur-Colmont

Le chemin passe nettement à l’écart du centre du bourg de Châtillon-sur-Colmont et détermine l’existence d’un faubourg-rue, appelé le Bas-Bourg. L’église est située sur un autre chemin, reliant Oisseau à Ernée, à l’embranchement d’une route menant au site castral de l’Écluse (Brecé). Le chemin montais l’ignore parce qu’il utilise le tracé de la voie antique Jublains-Avranches, dont le témoin le plus remarquable est une borne milliaire, aujourd’hui conservée dans l’église de Châtillon. Cette pierre porte une longue dédicace à l’empereur Aurélien, ainsi que la distance de Jublains, 9 lieues. Elle a été dressée en 274 ou 275 au bord de la voie, près de la ferme de l’Aunay.

L’examen de cette borne est l’occasion de découvrir les autres trésors de l’église, en particulier le beau retable du Rosaire construit par Tugal Caris en 1639.

Nous quittons Châtillon par la RD 5 qui, pendant 4,5 km, suit le tracé du chemin montais. Puis il faut faire un important crochet par l’Écluse pour retrouver le chemin à Colombiers-du-Plessis. À partir de là, nous ne le quitterons pratiquement plus.

L’horloge tourne et nous renonçons à la visite de l’église de Colombiers pour donner la priorité au chemin lui-même. La petite route qui mène à Lévaré est l’un des segments les plus beaux et les plus évocateurs du chemin médiéval. Seule, l’arrivée à Lévaré s’en détourne pour un tracé moderne. Dans le bourg, la croix de la Cervelle nous remet au contact du pèlerin en nous montrant ses attributs : le bourdon (le bâton), le chapeau et la besace.

Lévaré : Croix de la Cervelle
L’Hôtellerie (tertre de Montavon)
Pont au Bray

De Lévaré à La Dorée, le tracé du chemin montais, que nous suivons presque exactement, dessine une grande courbe. Ce changement d’orientation s’explique à nouveau par le passage d’itinéraires préexistants, notamment d’une voie nord-sud que l’on quitte à Milvain. Puis, après La Dorée, le chemin passe à l’Abbayette (orthographiée la Bayette sur les cartes actuelles), important prieuré du Mont-Saint-Michel qui contrôlait les possessions du Mont dans le Maine. À 1 km de ce site, nous abandonnons la route, qui dessine un brusque virage, pour emprunter, en gardant notre direction, un superbe chemin vicinal allant contourner la butte de Montadon (altéré en Montavon sur la carte IGN) où Jaillot indique des fourches patibulaires. Au carrefour avec un chemin d’Heussé (Manche) à Fougères, l’Hôtellerie a conservé un bâtiment ancien. Un petit détour par une route moderne nous permet d’entrer à Landivy.

Comme Mayenne, Landivy a un plan ancien allongé déterminé par le passage du chemin. En face de la mairie commence le chemin du Pont-Aubray (ou Pont-au-Bray), qui constitue à nouveau un passage très évocateur et d’une grande qualité paysagère dans sa dernière longueur.

Le hameau du Pont-Aubray, né au pied d’un château à motte, marque le passage du Maine en Bretagne, à proximité de la Normandie. Au sommet du versant dominant le ruisseau de l’Airon, qui a fixé une frontière remontant au moins, semble-t-il, à l’Antiquité, la chapelle est un modeste édifice du 14e ou du 15e s., très restauré au 19e s. Deux croix à haut fût se dressent à proximité. L’une d’elles porte sur ses branches des annelets, motif assez courant dans le nord de la Mayenne et la région de Combourg et dans lequel Alain Guéguen pense voir un marquage des chemins montais.

Sur l’autre versant de la vallée, le chemin nous quitte et se dirige vers Louvigné-du-Désert, puis Saint-James, enfin le Mont.

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