Conférence du 11 juin 2022 : Architectures de villégiature en bord de rivière, autour de Mayenne 

Architectures de villégiature en bord de rivière, autour de Mayenne 

par Pierrick Barreau, chercheur à l’inventaire départemental.

L’étude commencée en 2020 concerne l’habitat et principalement les châteaux, manoirs et demeures de villégiature en bord de Mayenne. L’enquête qui porte sur les communes riveraines de la Mayenne, s’inscrit dans un bandeau d’environ 500 mètres de part et d’autre de la rivière.

Les fermes, qui tournent généralement le dos à la rivière, ne sont pas prises en compte.

Ce travail mêle enquêtes de terrain, recherches en archives et photographies par les photographes de la Région et du Département pour les reproductions d’archives. L’étude a commencé en Nord-Mayenne : nous parlerons ici des communes proches de la ville de Mayenne, d’Ambrières à Montgiroux.

*  Villégiature : de l’italien villegiare (séjourner dans sa villa de plaisance). A l’origine, la villégiature désigne la résidence temporaire d’une société urbaine favorisée dans sa maison des champs. C’est la définition qui s’applique le mieux à la villégiature en Mayenne. Les élites des villes, principalement Mayenne, Laval et Château-Gontier (rarement plus loin) possèdent leur demeure de campagne.

Détail de terminologie : l’inventaire du patrimoine considère traditionnellement que le « château » appartient à l’Ancien Régime (indissociable d’une seigneurie) et ne peut être considéré comme tel au-delà. Dans les faits, cela pose de grosses questions de vocabulaire. Nous parlons couramment de châteaux, il faut sans doute préférer le terme « demeure » à défaut de mieux.

Trois grandes périodes de construction ont été identifiées pour ces demeures :

  • La fin du Moyen Age, manoirs 15-16e s. qui souvent remplacent eux-mêmes des mottes féodales parfois encore visibles

  • La période moderne, 17-18e s., caractérisée par les maisons de campagne ou maisons de maître, construites pour une élite urbaine issue de la bourgeoisie de commerce ou de robe qui aspire à la noblesse et parfois l’obtient. A cette époque les manoirs sont souvent déclassés en fermes ou transformés en maisons de maître

  • Le 19e s., période architecturalement la plus prolifique, pendant laquelle les bords de Mayenne se peuplent de demeures dites « châteaux » pour une petite ou grande aristocratie déçue de la politique et qui renoue avec la terre et une certaine forme de tradition.

Très souvent, deux ou trois périodes se superposent sur un même site. Les créations ex-nihilo ne sont pas les plus courantes.

En revanche, la villégiature reste un phénomène discret et d’une ampleur toute relative sur les bords de la Mayenne. S’implanter en bord de rivière, à l’écart de la ville, reste en grande majorité réservé à une haute élite. Aux 19e et 20e s., la Mayenne n’est pas une destination touristique « de masse ». Ceci explique la relative homogénéité architecturale de ces « châteaux », de ce petit monde clos qui s’ouvre peu à la nouveauté et à l’originalité.

Si les mottes, manoirs et châteaux féodaux sont nombreux le long de la Mayenne dans le nord du Département, les demeures de campagne de l’élite y sont encore assez peu répandues, contrairement au reste du département : territoire moins accessible, plus éloigné des centres urbains.

Il est difficile dans ce contexte de parler de villégiature, d’autant qu’on ne peut souvent pas établir quelle est la temporalité réelle de l’occupation de ces demeures (belle saison ? toute l’année ?). On parlera plutôt au cours de cette conférence de « plaisance » que de « villégiature ».

1 – Les premières manifestations de la plaisance : le privilège des châtelains

On ne peut guère parler de plaisance pour les manoirs de la fin de la période médiévale. La recherche du point de vue d’agrément est difficile à évaluer car le paysage a souvent évolué et les bâtiments se sont transformés voire dégradés.

Le manoir s’implante généralement sur un site de franchissement de la rivière, gué, bac ou pont, qu’il contrôle. A fortiori, nous sommes ici en zone de frontière, avec la Normandie. Implantation stratégique prime sur la recherche d’agrément.

Un bon exemple est fourni par le manoir des Mortiers à Ambrières-les-Vallées :

A quelques mètres de la frontière normande. La présence avérée d’une motte castrale, aujourd’hui totalement aplanie, pourrait indiquer un site seigneurial aménagé autour du 11e siècle.Les MortiersLe manoir est vraisemblablement édifié pour la famille de Logé qui, selon les suppositions de l’abbé Durand, possédait peut-être la seigneurie depuis le 12e siècle. Un aveu de 1499, retranscrit tardivement, fait état de la grande maison manable, à deux cheminées, une autre maison à cheminée, une grange, une étable, le tout se tenant ensemble, une autre maison servant de chapelle, un four et fournil, une autre étable, un pressoir.

Les premiers édifices qui affichent une recherche de l’agrément sont les châteaux édifiés pour la noblesse.

Ainsi, l’Isle-du-Gast à Saint-Fraimbault-de-Prières est construit sur un ancien manoir 15e (porche conservé), lui-même à l’écart d’un premier site féodal daté du 12e siècle.

Le bâtiment principal, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, date d’une ample reconstruction des années 1620-1630, qui peut être précisée grâce aux chronogrammes visibles sur différents bâtiments : la porte du logis mentionne ainsi la date 1625, une porte des communs présente la date 1626, et 1638 figure sur le portail principal de la cour. La construction est donc attribuable à Paul de l’Isle, mort en 1642 à la bataille de Rocroi.L'Isle du GastInitialement simple en profondeur et cantonné de pavillons, le château était aménagé perpendiculairement à la rivière pour bénéficier de vues sur la vallée et les jardins. L’ouverture sur l’extérieur se manifeste par les grandes baies et surtout l’escalier à loggias, réminiscence du modèle de l’escalier d’Azay-le-Rideau édifié un siècle plus tôt. Le cadastre napoléonien dressé en 1828 permet d’appréhender les aménagements autour du château dont les jardins sur les terrasses et les pentes du coteau descendant vers la Mayenne. On trouve mention du petit jardin, sur le côté sud de la cour, le jardin du Rocher sur la pente abrupte du coteau, le jardin de l’Enclos longeant les communs au nord. Le jardin principal se trouvait devant les façades postérieures du château, à l’ouest, et présentait un bassin en son centre avec un jet d’eau. Il était prolongé par le jardin de l’Orangerie et le Bas Jardin. Ces jardins ont aujourd’hui disparu, notamment sous les extensions de l’établissement et le parking, il n’en reste qu’une évocation dans la cour d’honneur.

Le Bas-Mont à Moulay est construit quant à lui pour signaler une noblesse récente. Il remplace également un site féodal.La construction du château actuel (fin du 17e ou début du 18e siècle) est commanditée par Germain Ricœur (1639-1716), maître de forge, comme son père du même nom, au Champ-de-la-Pierre (Orne). Bas-MontPropriétaire du Bas-Mont, il avait épousé, en 1664 à Mayenne, la fille du prévôt de cette ville, Renée Lefebvre. En 1669, Germain Ricoeur déclare dans l’aveu du duché de Mayenne sa terre de Mont ou Bas-Mont, dommaines, fiefz, hommes et debvoirs, avec justice foncière pour s’en faire obéir : le château n’étant pas cité, il semble qu’il n’était pas encore construit à cette date. Germain Ricœur est anobli et fait écuyer à Rouen en 1698, il prend alors officiellement le titre de seigneur du Bas-Mont. C’est peut-être par la suite qu’il entreprend la construction du château, bien qu’aucun document ne permette de l’affirmer. En revanche, il est établi grâce aux registres paroissiaux de Moulay que la chapelle Saint-Germain est bénie le 17 mars 1712.

Ici, le château surplombe directement la Mayenne et est presque parallèle à son cours. De grandes fenêtres et une terrasse permettent de jouir du paysage. Les dispositions du jardin ancien ne sont pas connues. En 1854, il est mis en adjudication par le notaire Benoiste et ainsi décrit dans l’annonce : Grande et belle terre du Basmont, d’une superficie totale de 166 hectares 79 ares 6 centiares […] comprise entre la route de Paris à Brest et la Mayenne qui la baigne sur une longueur de 3 kilomètres. Une avenue d’un kilomètre plantée de beaux hêtres conduit au château, qui domine la rivière et est entouré de deux vastes jardins potagers et de vallons dessinés en jardins anglais. En 1868, le château devient propriété de Charles-Alexandre Jailliard, que l’instituteur Davoust décrit dans sa monographie communale (1899) comme un riche bourgeois archi-millionnaire. Il résidait la plus grande partie du temps à Rennes où il avait ouvert à la construction un vaste lotissement en périphérie de la ville.

M. Jailliard est probablement le commanditaire d’une mise au goût du jour des intérieurs du château, incluant la réalisation de l’escalier d’honneur. On lui doit selon toute vraisemblance la construction du belvédère sur le toit du château ainsi que la pose des ornements de faîtage en zinc.

Le château de Contest, également construit sur un site ancien et succédant à un château ou manoir féodal, est réédifié à la fin du 18e siècle puis agrandi au 19e siècle. C’est une demeure très simple et sans ornement extérieur, qui rappelle les maisons de campagne des armateurs de Saint-Malo. René-Georges de Montecler (1738-1810), résidant principalement en son hôtel parisien de la rue du Cherche-Midi, faubourg Saint-Germain, commandite les travaux de démolition et de reconstruction du château de Contest, dans le 4e quart du 18e siècle. Là aussi, on a choisi une implantation parallèle à la rivière. Le regard porte très loin sur l’autre rive. Le grand intérêt de l’étude de ce château réside dans la conservation (chartrier de Montecler) de nombreux documents relatifs à la reconstruction, toisés, devis, factures, mémoires. Des reçus datés de 1785 et 1787 confirment l’intervention de Jean David, tailleur de pierre, pour huit journées […] pour fendre la pierre à Contes et pour la pierre de taille massonnal demolution pavages et charges des planchers et escallier d’entrée qui est en pierre de taille. On trouve un état des bois équarris et débités par François Le Faucheux, maître charpentier, pour le château de Contest (non daté). Des mémoires de 1784 signés Martinel mentionnent la fourniture de barres de fer pour les caves et les cheminées, de crochets pour la corniche et les gouttières, d’ornements de faîtage (girouettes, embasses et fleurs de lys) et d’éléments de serrurerie. D’autres mémoires signés Couanonnière et René Moreau font référence à des travaux de menuiserie et de maréchalerie. Des reçus et un mémoire signés Bojo (?), de 1787 et 1788, attestent également d’ouvrages tant en peinture qu’en vitral pour la maison de Comptée. En 1789, le menuisier Gourdier atteste avoir réalisé la rampe de l’escalier ainsi qu’une armoire.

2 – Maisons de maître, maisons de campagne : séjourner à la campagne

En parallèle de ces constructions/reconstructions de demeures d’agrément pour la noblesse locale, un autre type de demeure apparait : la maison de maître, qui est le logement intermittent d’un notable urbain, à la fois demeure de repos et pour surveiller l’exploitation d’un domaine agricole. La maison de maître reste difficile à cerner en nord Mayenne car beaucoup moins répandue qu’autour de Laval ou Château-Gontier. C’est ici un peu une catégorie fourre-tout pour tout ce qui ne peut se classer comme château ou manoir, principalement du fait de l’absence de titre seigneurial. Elle n’a pas véritablement de caractéristique architecturale propre si ce n’est, à minima, la présence d’un étage et de deux logements (parfois sous un même toit), un pour le maître, un pour le « colon ».

La demeure des Yvets à Ambrières-les-Vallées est un peu une énigme : elle revêt les caractéristiques architecturales d’un manoir sans pouvoir s’en donner le titre (absence de seigneurie semble-t-il). La seigneurie de Cigné était attachée au manoir de la Cour, avec lequel les Yvets entretiennent une étonnante promiscuité.Les YvetsL’analyse architecturale porte à croire que la demeure date de la 1ère moitié du 17e siècle et a probablement été édifiée par un certain Jean Hayrie. En 1660, dans l’aveu rendu par sa veuve Louise Leforestier, la description se précise avec une maison manable composée de salles chambres cave et greniers un pressoir et un four et fournil le tout couvert d’ardoises une escurye couverte de tuille et ardoise une court gallerye et un jardin. Une tour est ajoutée au 19e siècle, renforçant l’aspect castral du logis.

Lozé à La Haie-Traversaine est un ensemble très intéressant notamment de par son inscription dans un paysage partiellement domestiqué. Il semble qu’il n’ait existé ni seigneurie ni manoir en cet emplacement, comme le confirment les cartes de Jaillot et de Cassini du début du 18esiècle ; seule une closerie est citée en 1688.

Une branche de la famille Tripier de la Fresnaye, qui allait devenir Tripier de Lozé, s’implante en ce lieu au 18e siècle. D’après les travaux de l’association Patrimoine du Pays de Mayenne, celle-ci est achevée en 1745, comme l’indiquerait une date portée en façade à côté de la maxime SAT MORITURO (curieusement, l’abbé Angot relève la même maxime, mais pas la date). Lozé semble est conçu pour être une maison de campagne, la famille résidant habituellement à Mayenne. Pierre-Gabriel-Armand Tripier s’intéressait à l’agriculture : il rédigeait en 1766 un mémoire sur Les moyens d’obtenir la meilleure espèce de bétail dans le Bas-Maine. Sans doute développa-t-il certaines de ses idées sur ses terres. On lit aisément la volonté d’organiser de manière rigoureuse l’espace du domaine, par le tracé de vastes allées rayonnant autour du château. Le parc devait ainsi se confondre avec les terres agricoles, dans un rapport tant d’ouverture sur l’espace environnant que de domestication de celui-ci.Lozé, pigeonnierAu 18e siècle, la maison semble avoir entretenu une étonnante promiscuité avec le hameau de Lozé, puisque l’accès à toutes les fermes et maisons se faisait directement depuis la cour, comme le révèle le plan cadastral de 1829. Les propriétés privées et les communs de la demeure s’entremêlaient intimement et aucun mur de semblait alors les séparer : s’agissait-il d’une volonté du commanditaire, dans la perspective d’aménager un domaine agricole expérimental, dans l’esprit physiocratique ? Cet agencement a été totalement bousculé sans doute dans la 2e moitié du 19e siècle, lorsque la demeure et son parc ont été isolés par un mur de clôture : les chemins ont été détournés vers l’est et une partie du hameau a été rasée. Certains éléments propres au domaine se sont retrouvés isolés hors de la clôture, comme le pigeonnier.

Le Tertre à Martigné-sur-Mayenne annonce les grandes maisons de maître de la région lavalloise, souvent à façade ordonnancée à trois travées. Elle est construite pour une branche de la tentaculaire famille Duchemin, grande dynastie de bourgeois lavallois enrichis dans le négoce des toiles. Le commanditaire de la maison pourrait être Gabriel Duchemin (1649-1704), marchand et sieur du Tertre, ou son fils Gabriel-Christophe Duchemin des Loges, né en 1695. Une description des lieux, très sommaire, figure dans le partage des successions de Jacques Duchemin des Loges et son épouse Louise-Charlotte Le Hirbec, en date du 5 décembre 1800. Le Tertre y figure parmi les métairies et closeries de la famille : Le lieu métairie du Tertre situé commune de Martigné exploité en faire valoir par Jean Palicot, le dit lieu composé de maison, terrasse, jardin et chapelle pour le maître ; maison pour le colon, bâtiment servant à l’usage dudit lieu, estrages issues et jardin. Les matrices cadastrales indiquent que le logement du fermier est transformé en dépendance en 1855.

Le Grand-Coudray à Chantrigné est difficile à classer.

KONICA MINOLTA DIGITAL CAMERAIl s’agit d’un ancien manoir (siège d’une seigneurie), mais il revêt davantage l’aspect d’une maison de maître et fait fonction de résidence de campagne pour des notables ou négociants de Mayenne et d’Ambrières aux 18e, 19e et 20esiècles.

L’architecture superpose différentes périodes jusqu’aux années 1940 dans un ensemble assez simple et sans décor. L’élément le plus remarquable est le pittoresque kiosque surplombant la Mayenne édifié au début des années 1890 : témoignage remarquable de l’appropriation des bords de rivière par les parcs et jardins des demeures, souvent disparus aujourd’hui.

La PrairieLa Prairie à Ambrières-les-Vallées, à la confluence avec la Varenne, peut être considérée comme une maison de maître du 19e siècle (construite en lien avec une ferme préexistante), mais elle fait le lien avec les demeures souvent qualifiées de châteaux qui bordent la Mayenne à partir du 19e siècle. La ferme de la Petite Roblinière et la prairie adjacente sont achetées par un certain Alexis-Nicolas Caigné (1854-1906), négociant résidant rue de la Gare puis rue de Bretagne à Mayenne. D’après les matrices cadastrales, la maison qui y est construite est déclarée imposable en 1875. En 1884, les Caigné font partage de leurs biens entre leurs deux enfants, Alexis-Ernest et Louise-Joséphine, épouse de Georges-Etienne Leduc, avoué à Argentan. Ces deux derniers obtiennent la ferme de la Roblinière et la maison de la Prairie ainsi décrite : une belle maison de maître comprenant au rez-de-chaussée salle et salon, cuisine arrière-cuisine et une autre petite pièce, au premier quatre chambres avec cabinet greniers et mansardes, deux caves sous le tout, cour au-devant, jardin au bout, portion de jardin derrière. On notera que la façade remarquable est tournée vers la route, et non vers la rivière.

3 – Demeures du 19e siècle : le siècle des « châteaux »

L’apogée de la construction en bord de Mayenne est atteint au 19e siècle. Les demeures, dites « châteaux », fleurissent sur ses rives, à la recherche des paysages agréables à l’œil et notamment du pittoresque : grandes vallées, promontoires escarpés, chaos rocheux, etc.

Il est intéressant de noter que bien que ces demeures reprennent souvent des sites féodaux antérieurs, elles n’entretiennent souvent aucun lien avec : nouvelles familles, souvent non aristocratiques, abandon voire destruction de l’ancien manoir, ou réutilisation comme bâtiment de ferme ou fabrique de jardin.

La demeure du Bois-Belleray à Martigné-sur-Mayenne est aujourd’hui incluse dans les bâtiments de la fromagerie Vaubernier. Il ne peut être établi aucun lien direct entre l’ancienne seigneurie du Bois-Belleray et cette maison, pourtant surnommée « château ». Elle est effectivement édifiée ex-nihilo bien au sud du hameau de Bois-Belleray, et déclarée comme nouvelle construction imposable en 1837. La commanditaire est Marie-Rose-Jacqueline – dite Rosalie – de Baglion de la Dufferie, résidant à Mayenne. La nouvelle construction, à vocation de villégiature, est conçue comme un belvédère au-dessus de la Mayenne. L’architecture s’inspire encore des sobres compositions du XVIIIe siècle, avec une élévation ordonnancée et un fronton triangulaire, peut-être empruntés à la maison de maître voisine du Tertre. Si la demeure est conservée, enchâssée dans le complexe industriel actuel, seules les vues aériennes du milieu du 20e siècle donnent une idée de l’ensemble de la propriété avant ses transformations récentes. Partant du hameau du Bois-Belleray, une grande allée plantée d’arbres débouchait dans la cour d’honneur devant la maison. Cette cour, où était aménagé un bassin circulaire, était délimitée par deux corps de communs, dont un seul subsiste. Au nord se trouvait un potager en forme de losange, aujourd’hui signalé par une portion du mur de clôture et l’ancien pavillon du jardinier. Un verger semble avoir pris place à l’arrière. Le reste du parc, délimité par l’à-pic dominant Mayenne et la vallée d’un petit affluent, se composait de prairies ceinturées de haies. En 1912, la maison est rachetée par Albert Le Masne de Brons, fondateur de la Fromagerie Nantaise (rue de Paris à Nantes), qui serait tombé en panne à proximité du Bois-Belleray. L’industriel y voit l’opportunité de créer une nouvelle fromagerie au cœur d’un terroir laitier et à proximité immédiate de l’eau.

La demeure de Louiseval à Ambrières-les-Vallées est construite sur l’emplacement d’une ferme, le Haut-Beauchêne, pour Julien Michel et Louise Dugué (d’où le nom plus poétique de Louiseval), résidant à Mayenne. Julien Michel y est vérificateur de l’enregistrement puis conservateur aux hypothèques. Deux étapes successives : la partie centrale de la demeure d’abord (vers 1850), d’inspiration néoclassique, puis les deux pavillons en 1878, selon les plans d’Anthony Leclerc. La demeure, au sommet du coteau de la Mayenne, s’inscrit dans un vaste parc paysager dessiné par le paysagiste Lebreton, d’Avranches, à la fin du 19e siècle : parc à l’anglaise, allées sinueuses, bosquets et jardin potager avec serre.

La demeure de Rochefeuille, à Mayenne, est une construction ex-nihilo. Elle illustre parfaitement le goût néo-Renaissance très prisé dans les années 1840-1860 et qui imprègne la plupart des châteaux bordant la Mayenne. Un nom d’architecte revient souvent, celui de Pierre-Félix Delarue, architecte parisien puis manceau. Souvent, cette attribution ne s’appuie que sur des comparaisons stylistiques, faute de documents. Rochefeuille est édifié vers 1855 aux portes de Mayenne, pour Louis-Jean-Charles-Marie Tanquerel des Planches, médecin et agronome à Paris, et son épouse et cousine Marie-Euphrasie Tanquerel des Usachères.RochefeuilleL’édifice est signalé comme imposable en 1858 dans les matrices cadastrales. Prix Montyon de 1840, lauréat de l’Institut, chevalier de la Légion d’Honneur, auteur de recherches en médecine sur le saturnisme et l’encéphalopathie, Louis Tanquerel est membre de nombreuses sociétés savantes. Il est surtout, à l’échelle locale, fondateur et président de la Société d’Agriculture de l’Arrondissement de Mayenne. L’édifice est qualifié par Paul Delaunay de charmant château rose et blanc, rappelant que les tourelles en encorbellement, en briques, n’étaient alors pas enduites. Louis Tanquerel fait de son parc de Rochefeuille un laboratoire d’acclimatation d’essences rares et transforme la Chouanne en ferme modèle, sans pour autant la reconstruire sur un plan rationalisé. Éprouvant en même temps qu’une forte nostalgie, un réveil de vifs sentiments bucoliques, il quitte Paris et revient définitivement sur ses terres mayennaises. Il se métamorphosa en agriculteur, greffa des rosiers, dressa des espaliers, organisa ses étables et ses bergeries […]. Tanquerel, dont la ferme de la Choanne (sic) était un modèle, entreprit en 1861 le défrichement et la culture de vastes landes. A Glaintain (Saint-Fraimbault-de-Prières), il s’adonne à la sylviculture. Il décède en sa demeure de Rochefeuille le 27 mai 1862, puis son épouse dix ans plus tard.

La demeure de Malortie, à Saint-Loup-du-Gast, reprend les poncifs de l’architecture Néo-Renaissance observés à Rochefeuille. Il n’en reste que des plans et photographies.Malortie, plansLe château est édifié pour Louis de Malortie-Campigny (1801-1876), noble d’origine normande, implanté en Mayenne suite à son mariage avec Augustine-Henriette d’Héliand. C’est lui qui donnera son nom au lieu, bien qu’on trouve encore tardivement l’appellation de « château de Saint-Loup » à la fin du XIXe siècle. Les travaux sont réalisés en 1841, avec sans doute un agrandissement en 1855. Dans la nuit du 22 au 23 décembre 1866, un incendie ravage une riche galerie de tableaux et une précieuse bibliothèque comprenant de nombreux manuscrits et détruit une partie du château. Selon l’Indépendant de l’Ouest, on rapporte que M. de Malortie a été lui-même l’auteur involontaire de ce désastre. Ayant reconnu une excessive humidité dans sa bibliothèque, il y avait allumé un grand feu et était allé se coucher sans l’avoir éteint […]. Dans la nuit, l’incendie s’est déclaré et a fait des progrès rapides. La compagnie des sapeurs-pompiers de Mayenne et celle d’Ambrières se sont empressées d’accourir sur les lieux, ainsi qu’un grand nombre de travailleurs. Grâce à leurs efforts […] on a pu préserver tout le côté gauche du château faisant face à la rivière. Pendant la Seconde guerre mondiale, Malortie est occupé par les Allemands puis bombardé par les Américains postés à Lozé lors des combats dans le bourg de Saint-Loup-du-Gast, du 5 au 11 août 1944. Les dégâts sont tels que la demeure et une partie des dépendances (étables, serre, hangar) sont entièrement rasées.

La demeure de Montgiroux, à Saint-Germain-d’Anxure, est également néo-Renaissance mais tend vers le néo Louis-XIII, avec son appareillage brique et pierre.MontgirouxLa terre de Montgiroux, dont le siège féodal était au manoir de Morand, est achetée en 1858 par leur fils cadet Frédéric de Robien, époux de Marie de Hercé. Ils y entreprennent la construction d’un château neuf selon des plans commandés à l’architecte manceau Pierre-Félix Delarue en 1864. En 1893, André de Robien commande les plans pour de nouveaux travaux à l’architecte angevin Auguste Beignet. Il s’agit en priorité d’adapter le château à l’état de santé de son épouse, Marthe Denion du Pin, asthmatique. Un nouveau perron d’entrée plus large doit être construit et aboutir dans un vaste jardin d’hiver chauffé par un calorifère, placé devant la façade principale. Une chapelle est également prévue au nord du château. En 1896, Beignet fournit un second projet, incluant un nouveau jardin d’hiver, encore plus imposant, à construire au sud du château et relié à lui par une galerie suspendue ; le jardin d’hiver précédemment prévu, en façade du château, est alors remplacé par une simple véranda surmontée d’une terrasse. Finalement, seuls l’escalier, le perron et la véranda sont réalisés, tandis que les projets de chapelle et de jardin d’hiver restent sur le papier.

La demeure de la Juvaudière, à Sacé, construite sur les restes d’un manoir, domine également la Mayenne. C’est le seul château bordant la Mayenne de style véritablement néo-gothique.

4 – L’architecture dite de villégiature : les « folies » des riches industriels

Si les demeures de campagne des aristocrates locaux au 19e siècle se réfèrent aux styles architecturaux dits historicistes, l’architecture dite de villégiature, d’inspiration francilienne, ne perce que peu en Mayenne. Il est toutefois intéressant de noter que les réalisations les plus modernes et originales dans leur conception sont le fait d’industriels enrichis.

La maison patronale de Neuilly-le-Vendin construite vers 1910 pour Clément Boudeville, négociant en fer et machines agricoles, en est une belle illustration. La maison est la réplique exacte (à l’exception du bow-window et de la marquise) de la villa Carmen – aujourd’hui la Choltière – édifiée vers 1898 à Bagnoles-de-l’Orne dans le quartier de villégiature développé par Albert Christophle pour dynamiser la station thermale à partir de 1886. Une carte postale ancienne attribue cette villa à L. Bénard, architecte-constructeur qui la proposait probablement sur catalogue. En effet, ce même modèle est repris pour la construction de la villa les Myosotis également à Bagnoles-de-l’Orne, et a pu être utilisé pour d’autres maisons des environs.

La famille Féron, riches industriels à Mayenne, fait également construire son « château » dit des Vallées près de son usine. C’est sans doute à la fin du 18e siècle que François Féron, marchand de son état, quitte Madré pour s’implanter à Mayenne où il développe un négoce de toiles. L’activité est reprise par ses fils, notamment Noël-Thomas qui s’établit comme blanchisseur, pour y demeurer jusqu’à son décès en 1836. Le fils de Noël-Thomas, Adolphe Féron, après avoir tenu un négoce de toiles avec son frère à Paris, revient à Mayenne pour s’y marier en 1833. Il devient rapidement l’un des plus riches et influents notables de la ville, dont il est conseiller municipal et juge de commerce ; au faîte de sa carrière, il devient conseiller général du canton de Mayenne en 1871 ; il décède le 18 juin 1879. Les matrices cadastrales indiquent qu’il est le commanditaire de la grande maison patronale, surnommée « château des Vallées », bien qu’elle n’ait été achevée qu’après sa mort, en 1882, pour devenir imposable en 1885. Construite face à la Mayenne, sur l’emplacement d’un jardin, la maison témoigne de l’éclatante réussite de la famille Féron.

Mayenne, chateau de BrivesAutre maison patronale, le « château de Brives » à Mayenne dépendant de la fonderie Pellier. Le bâtiment a été construit, à partir de 1899, par l’architecte lavallois Louis Marchal pour le marquis Robert de Négroni, propriétaire de l’ancienne corderie voisine, à l’emplacement d’un ancien logis détruit par un incendie. Il a été achevé pour les frères Albert et Georges Pellier qui rachetèrent le site industriel en 1902.

L’architecture est une interprétation libre des châteaux médiévaux, qui tranche avec le conformisme des autres châteaux historicistes bordant la Mayenne. Le commanditaire cherche l’originalité avec ses multiples volumes en décrochements, la dissymétrie générale, les toits pittoresques, son belvédère en forme de tour, etc.

Le château de Torcé à Ambrières-les-Vallées, demeure de campagne pour de riches industriels de la Ferté-Macé, est une débauche de luxe qui vise à « en mettre plein la vue », quitte à frôler peut-être le mauvais goût tant l’architecture est éclectique et lourde. Le site féodal sous-jacent (motte puis manoir) n’a guère laissé de traces. De 1827 à 1895, Torcé appartient à la famille Guesdon de Beauchesne, également propriétaire du château de Lassay ; on lui doit la construction, en lieu et place du manoir de Torcé, d’une maison dont le style, atypique pour la région, semble s’inspirer des villas de Toscane. Selon le cadastre, cette construction est achevée en 1883. Elle nous est connue par une unique photographie : on y reconnaît, sous les habillages postérieurs, la partie droite du château actuel, avec un corps à trois travées et bow-window flanqué d’un pavillon à deux étages. Les décors d’origine, parement en pierres polygonales au rez-de-chaussée et frise de céramiques vernissées, ont totalement disparu, mais les volumes sont aisément reconnaissables.

Torcé 01On doit à une famille d’industriels, les Salles, riches héritiers d’une famille de manufacturiers de toiles à La Ferté-Macé, les grandes transformations de Torcé. C’est probablement ce qui explique le choix d’un style architectural assez prétentieux. C’est aussi ce qui en fait un château assez unique sur les rives de Mayenne, affichant de manière ostentatoire une débauche absolument fantaisiste de volumes et de décors, une juxtaposition de styles apparemment sans cohérence. On doit le rachat du domaine (1895) à Clovis Salles, puis les travaux d’agrandissement et d’embellissement (de 1897 à 1900) à son fils Francis. Le chantier, confié à l’architecte mayennais Jules Tessier, est documenté par des correspondances et factures conservées aux archives départementales de l’Orne dans l’important fonds de la famille Salles. On y relève l’intervention des entrepreneurs Jules Goualier fils, charpentier-couvreur à Lassay, Ed. Quellier maçon à Cigné, Legentil briquetier à Melleray, L. Chancerel ferblantier-zingueur. Le granite est fourni par la carrière Gouyet à Louvigné-du-Désert (Ille-et-Vilaine). L’entreprise Pont-Ollion Nicolet signe le dallage en ciment du vestibule au monogramme des Salles. Les plants et semences pour le jardin et le parc sont fournis par l’entreprise Levazeux à Mayenne. Certaines lettres illustrant les altercations entre l’architecte et les entrepreneurs sur le chantier sont assez savoureuses.

Clovis, puis son fils François, également à la tête de la florissante entreprise familiale, meurent prématurément, mais l’empreinte laissée en à peine quinze ans par la famille Salles sur Torcé est considérable. La demeure est agrandie vers l’ouest, les toitures sont rehaussées, un second pavillon est élevé sur la partie droite, de nombreux décors sont plaqués, dans un éclectisme mêlant styles classique et Renaissance. En plus du remaniement complet du château, la métairie est rasée, remplacée par des écuries flambant neuves à partir de 1898 et une maison de gardien d’inspiration francilienne. Au nord du château, une ferme modèle est élevée ex-nihilo selon un plan rationalisé, avec logement au centre et dépendances dans les ailes.

Conclusion

Ces quelques exemples donnent une idée de l’évolution de l’architecture de plaisance sur les bords de la rivière Mayenne dans le nord du département. La poursuite des recherches montre que ces architectures se démultiplient autour de Laval et Château-Gontier, notamment sous l’influence angevine. Les bords de Mayenne ne cessent pas d’être un lieu d’expression architecturale pour l’habitat comme le montrent ces exemples du quartier de Beau-Rivage à Moulay.

 

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