Conférence du 25 novembre : le rouleau de la dame d’olivet

« Le rouleau de la Dame d’Olivet »par Jacques Fourgeaud.

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 Le mémoire a fait l’objet d’une soutenance à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne le 19 juin 2018. Le travail a consisté à la transcription et l’étude d’un parchemin du XIVe siècle conservé à la BNF et ayant pour titre la seigneurie de la Dame d’Olivet.

Le rouleau de la Dame d’Olivet est un document rare, un parchemin de 9,50 mètres de long, écrit recto-verso, d’une exceptionnelle qualité (Ms BNF NAF 23312 Gallica). C’est un bel exemple de comptes de châtellenie dans le Bas-Maine qui s’étalent sur une dizaine d’années de 1333 à 1343 et ayant la particularité de montrer la gestion de la réserve. Son étude apporte une réponse renouvelée sur les structures économiques et sociales de la période féodale.

Le commanditaire est une femme.

Le Rouleau a été compilé par Eustache de Beauçay, Dame d’Olivet et dans une moindre mesure par son époux André de Laval. André de Laval est chevalier et seigneur de Châtillon-en-Vendelais. Il appartient à la puissante famille des Laval.

carte des métairies

Au début du XIVe siècle, André de Châtillon-en-Vendelais et sa femme Eustache de Beauçay entretiennent et gèrent une trentaine de métairies sur le secteur de Meslay-du-Maine, une douzaine dans le secteur d’Olivet, sans compter la vacherie, des closeries et des terres diverses.

« Les mises de Madame d’Olivet », sont donc les comptes d’un grand seigneur, appartenant à la plus haute aristocratie française. Ce document montre que la Dame d’Olivet gère sa réserve en direct. Elle est dans la posture d’un propriétaire foncier mettant ses terres en valeur au moyen de baux à ferme ou en métayage à court terme, à moitié fruit.

Le bail à cheptel, utilisé par la Dame d’Olivet, associé à des baux de métayages permet de développer l’élevage spéculatif des bovins, des ovins et la production des céréales. Le bailleur remet à l’éleveur un certain nombre de bêtes dont la valeur est estimée, ainsi qu’une terre. De son côté, le preneur apporte sa force de travail et éventuellement sa propre terre qu’il joint à celle du bailleur. Au terme du contrat, d’une durée variable de trois à neuf ans, le capital est restitué et les profits résultant de la vente des animaux, du croît ou de la vente des cuirs, laine, céréales sont partagés par moitié.

Le résultat des investissements de capitaux dans les contrats de métayage et les baux à cheptel orienta la production paysanne et sensibilisa les gestionnaires aux marchés.

La Dame d’Olivet par son implication dans une évolution agricole activée par l’intrusion de capitaux, par des changements dans le mode d’exploitation de la réserve, la mise en place de contrats de métayage et de baux à cheptel entraînant de profondes répercussions sur les prix agricoles, prépare l’avènement du capitalisme. Elle est source d’accumulation primitive du capital. Elle amorce la concentration des moyens de production, l’aliénation du travail des paysans transformés en salariés.

Le manuscrit : sa description.

manuscrit 1

Le rouleau est constitué de parchemin dont le scribe a pris soin de « régler » le texte, c’est-à-dire de tracer les limites formelles de son intervention. Dans les marges du texte, les actes sont décorés. Le travail consiste à dégager au sein des lettrines et dans leur environnement un espace adéquat pour accueillir des faces humaines réduites au minimum (nez, bouche, regard expressif) symbolisant les paysans de la communauté villageoise. Ce parchemin est écrit en français. Les 22 feuillets du rouleau contiennent 106 notices.

manuscrit 3

 

Les feuillets sont annotés au fur à mesure des années, au moment de la signature du bail ou annuellement lors des comptes d’avoir. Les feuillets ne sont intégralement cousus entre eux qu’à la fin des transcriptions des comptes d’avoir et des stipulations des baux pour former l’intégralité du rouleau. A ce moment, il devient définitif.


Analysons le contenu. 

La Dame d’Olivet au début du XIVe siècle adopte pour ses 42 métairies, le bail à métayage qui concerne seulement les produits végétaux. Le développement de ce contrat s’appuie sur la mise en place d’une nouvelle forme d’exploitation, la métairie.

Les métairies de la Dame d’Olivet sont des unités de production et de vie pour une famille. Ce double caractère fait de la métairie un élément clé à la fois du paysage et de la structure sociale de l’ouest de la France. La métairie regroupe une maison, une grange, des étables, un jardin où poussent les plantes textiles, lin et chanvre, un verger contenant de la vigne, le tout clos d’un fossé.

La métairie constitue un mode de tenure et une unité agraire nouvelle, liée à la mise en valeur du sol. Vaste exploitation taillée sur les réserves, elle fait de son exploitant un personnage important, susceptible de verser des redevances élevées, maître d’un attelage de bœufs. La Dame d’Olivet met à la tête de ses métairies des hommes assez fortunés pour pouvoir apporter leur part de capital dans les investissements nécessaires à l’élevage.

 

Un type de contrat ordonné apparaît dans le rouleau : le compte de métayage

Après le jour, la date, le type de contrat, le nom des contractants, le nom du métayer, le descriptif des biens loués apparaissent les appartenances, les terres arables, les prez, pastures, bois, haies, hébergements auquel le tenancier joints ses propres terres à la location. S’ajoute la durée du bail de 3 à 9 ans et le début du contrat. Le contrat stipule aussi des indications contraignantes : le métayer s’engage à bien tenir et accomplir tout ce qu’il contient, il en fait le serment. Il doit cultiver convenablement, faire de bons labours.

Le bailleur s’oblige aussi à fournir aux métayers le bois nécessaire pour construire les charrues et charrettes, clore les blés, les vignes, celui pour le chauffage de la ferme, les réparations des maisons. Le bailleur s’engage à laisser au preneur la jouissance complète du courtil. Le bailleur accorde le droit de pâture dans la forêt. Les granges contiennent les foins et fourrages nécessaires pour une année.

manuscrit 2Le compte de métayage fait état de redevances : la rente fixe, en nature, prise lors des récoltes sur le monceau commun. A la rente s’ajoute toute une série de prélèvements : la mestive (redevance en blé qui se lève sur les blés), la géline versée vers la chandeleur … Enfin s’ajoutent des prélèvements assis sur des droits coutumiers : chapons, beurre, miel. Le métayer doit fournir sa part de laine, sa part de plantes textiles. Sans oublier les corvées.

 

Le corollaire du compte de métayage, le bail à cheptel.

Madame d’Olivet fournit au métayer le cheptel vif cité dans les comptes avec une grande précision. Le bailleur donne des animaux à garder, nourrir et soigner, à condition que le preneur profite de la moitié du croît et qu’il supporte la moitié de la perte. Chacune des parties met quelque chose en commun, capital ou travail, pour tirer un profit commun. La dame d’Olivet fournit une ou plusieurs paires de bœufs, des vaches, des veaux, des génisses, taureaux, un cheval, une ou plusieurs juments, des ovins, des porcs, des chèvres, des chapons.

A la fin du bail, le métayer laissera des bestiaux d’une valeur égale, réévaluée chaque année avec la dépréciation de la monnaie, au prix de l’estimation de ceux qu’il a reçus. En prenant en charge le bétail, le tenancier dresse avec le propriétaire un inventaire qui s’accompagne toujours d’une évaluation en argent. Le capital devra de nouveau être réévaluer à la fin du contrat.

Les baux à métayage et les baux à cheptel sont évalués chaque année par la Dame d’Olivet à travers les comptes d’avoir. Ces comptes sont l’établissement d’un état des lieux pour chaque métairie. Ils font le point sur l’état du troupeau, les naissances, les pertes, les ventes et les achats, les transferts, l’évaluation du « châtel » en monnaie forte ou faible, leur réévaluation, les corvées, les charrois, les redevances, les dettes du métayer, les prêts en argent et en nature.

L’ensemble des métairies de la Dame d’Olivet, abrite un capital de plus de 2000 têtes dont 800 à 1000 moutons en lien avec l’industrie textile Lavalloise. La provenance des animaux est stipulée : veaux d’Anthenay, moutons de la Chartreuse, bœufs et béliers d’Espagne (Mérinos), des foires de Meslay-du-Maine ou venant de transferts de la vacherie de Courbeveille.

Avec les mises de Madame d’Olivet, nous sommes en présence d’un propriétaire foncier mettant ses terres en valeur, d’un « Capitaliste » escomptant les profits qu’apportera l’industrie textile, faisant fructifier ses capitaux au moyen de baux à cheptel.

 

  1. J. Fourgeaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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