– Compte-rendu de la conférence du samedi 30 novembre 2019 –
Le pan de bois lavallois, un patrimoine redécouvert,
par Samuel Chollet, archéologue de la ville de Laval.
Un patrimoine ancien pour une recherche… relativement jeune.
Au même titre que nos châteaux et nos églises, les maisons en pan de bois constituent un patrimoine iconique, régulièrement mis en avant pour souligner le charme, l’authenticité ou encore la qualité du cadre de vie d’une ville ou d’un village. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de consulter un moteur de recherche sur internet : si ce type d’immeuble à ossature bois prédomine naturellement pour des villes comme Colmar, la part belle leur est également réservée au sein d’agglomérations pourtant pourvues d’atouts patrimoniaux autres, à l’image de Dinan dotée de constructions militaires bien conservées et de première importance.
Cet état de fait n’est pas sans ironie lorsqu’on pense à la place qui était accordée, récemment encore, à ce type de bâti, à commencer par le monde de la recherche. Certes, les premiers « historiens de l’architecture » du milieu du 19e siècle, Eugène Viollet-le-Duc en tête, se sont intéressés à ces constructions (Fig. 1). Toutefois, les ouvrages qui ont découlé de ces prémices n’ont pas suscité un engouement scientifique. Pis, ils n’ont pas suffi à réveiller les consciences quant à la nécessité de protéger ce patrimoine. Ainsi, à Laval, si le Vieux Château, le Château Neuf et les églises de la Trinité et d’Avesnières sont intégrés à la toute première liste des monuments historiques, il faut attendre les années 1920 pour qu’on assiste à une première vague de protection des maisons en pan de bois.
Le résultat de cette relative indifférence a été la destruction parfois massive de ce bâti, allant parfois jusqu’à le faire disparaitre du paysage de certaines villes. Ainsi, à Tours, les programmes urbains de reconstruction puis de rénovation menés par le maire Jean Royer, durant les années 1950 puis 1970, ont entrainé l’arasement de presque 30 ha de quartiers anciens… soit davantage que les dommages occasionnés par les bombardements – pourtant extrêmement lourds – de la seconde guerre. A Laval, aucune destruction de grande ampleur n’est à déplorer durant la seconde moitié du 20e siècle. On signalera simplement des restaurations particulièrement « invasives », pour ne pas dire abusives. Le cas de la rue de la Trinité est à cet égard éloquent : si certains immeubles de cette artère ont vu leur façade entièrement reconstruite, d’autres ne conservent à l’inverse que cette dernière, victimes du « façadisme » alors à la mode.
Il faut attendre les années 1970 pour voir apparaître les premières observations et enquêtes, sous la conduite de ce qui alors appelé « l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France ». A ces prémices succèdent, dans les années 80 et 90, les premières véritables études, toujours par les chercheurs de l’Inventaire mais aussi par les archéologues qui développent pour ce faire, notamment à Lyon, les bases méthodologiques de l’archéologie du bâti. C’est dans ce contexte que Dominique Eraud, chercheur à l’Inventaire général pour la Ville de Laval et le Conseil général de la Mayenne, présente en 1982 un premier bilan de ses travaux consacrés aux « maisons à pans de bois de Laval », communication qui fera l’objet l’année suivante d’un article aujourd’hui de référence, dans le tome 5 de la revue Mayenne : archéologie, histoire (Fig. 2).
Au début des années 2000, le Service archéologique de Laval, créé peu d’années auparavant, initie un programme de recherche dans le but de prolonger ces travaux fondateurs, sous la forme d’études archivistiques mais surtout archéologiques. Une première synthèse de ces recherches a d’ores et déjà été publiée, à travers une contribution de J.-M. Gousset aux actes du colloque La Construction en pan de bois qui s’est tenu à Tours en 2011.
Dix ans après, il était temps de dresser un nouvel état de nos connaissances quant à ce patrimoine lavallois de première importance.
Un patrimoine riche et varié.
Au sens strict, un pan de bois est un ensemble de pièces de charpente assemblées dans un même plan vertical. Ce terme peut donc s’appliquer à la façade antérieure sur rue d’un édifice mais également au mur latéral d’un immeuble, à une façade postérieure, à mur de refend, une cloison ou encore la ferme principale d’une charpente de toit. On fera remarquer par ailleurs que cette définition n’implique pas nécessairement la présence d’un encorbellement.
Toutefois, dans les faits, force est de constater qu’on entend par « maison en pan de bois » une maison avec façade sur rue en pan de bois. Dans le cas présent, le Service archéologique de Laval a pris le parti de limiter les édifices étudiés à ceux dotés d’une façade sur rue non seulement en pan de bois mais également pourvus d’un encorbellement. Sur cette base, une soixantaine maisons ont été recensées, soit l’un des principaux corpus de l’Ouest français. L’origine de cette « richesse » patrimoniale s’explique par le faible impact, localement, de la seconde guerre mondiale mais surtout par l’histoire particulière de la ville et de son tissu urbain. En effet, la décision de Napoléon de faire déplacer au nord de l’intramuros la route Paris-Brest et d’y faire aménager un nouveau centre-ville a entrainé une quasi fossilisation du centre ancien et de ses élévations. Durant cette période, les seules sources de destruction auront ainsi été l’alignement de certaines rues et places publiques mais surtout la création des quais à partir des années 1860. Ces derniers ont notamment fait presque entièrement disparaitre l’habitat sur berges et avec lui deux typologies de maisons en pan de bois : celles sur pilotis et celles à galerie.
Pour terminer, doit être ajouté à ce corpus en élévation celui formé par les édifices aujourd’hui disparus mais renseignés par la documentation iconographique, composée de gravures, dessins et peintures, comme celles de J.-B. Messager, ou encore de photographies (Fig. 3).
L’archéologie du bâti, une méthode pour un renouvellement de la connaissance.
Méthode de base des études conduites par le Service archéologique, l’archéologie du bâti a permis de renouveler la connaissance du bâti civil lavallois en pan de bois. Adaptation aux élévations des principes développés en archéologique sédimentaire, elle vise, pour un édifice donné, à déterminer sa chronologie relative puis, dans la mesure du possible de préciser la datation de chacune des phases établies dans ce cadre. Pour ce faire, il peut être fait appel aux sources écrites, aux chrono-typologies ou encore à des méthodes de datation en laboratoire. Parmi ces dernières, la principale est la dendrochronologie, c’est-à-dire la datation des bois à partir de l’analyse de leurs cernes de croissance. Pierre angulaire des recherches que le Service archéologique de Laval consacre aux édifices en pan de bois, elle est systématiquement utilisée pour toute étude approfondie.
Aujourd’hui, sur les 63 maisons en pan de bois recensées, 59 ont été étudiées suivant les principes de cette méthode et 14 ont été datées par dendrochronologie. Ce travail permet actuellement de scinder l’évolution des maisons en pan de bois de Laval en quatre phases majeures.
Phase 1 : Des édifices à encorbellement sur solives débordantes (2e quart du 15e s.).
Cette première phase s’appuie sur trois édifices qui présentent pour point commun d’être situés en bas de la Grande Rue et plus précisément sur le front nord de celle-ci, c’est à dire immédiatement sous le château. Il s’agit des numéros 26, 28 et 36 de cette artère, datés respectivement de 1423d, de1423-1432d et du 1426-27d (Fig. 4). Bien que restreint, cet ensemble se révèle être d’une très grande homogénéité, ce qui autorise à tenter une première caractérisation de cette phase initiale.
Leur façade comprend principalement un rez-de-chaussée très ouvert sur la rue, composé de quatre poteaux porteurs et équipé d’une porte centrale ; un premier étage en encorbellement sur solives débordantes, ajouré de petites ouvertures formant claires-voies ; et un comble à surcroit. En complément, on remarquera l’absence presque complète de décor – exception faite de la ferme débordante du n°26 – et surtout l’extrême prudence avec laquelle ces maisons sont mises en œuvre, signe d’une architecture encore balbutiante à Laval en ce début du 15e siècle et qui explique en grande partie une certaine lourdeur des volumes. Ce soin excessif se traduit notamment par des contreventements en grand nombre, des pièces de bois de forte section, un nombre particulièrement important de séries de marques d’assemblages et des solives débordantes systématiquement assemblées aux sablières de plancher et chambrée par un système à queue d’aronde.
Les intérieurs de ces édifices restent à étudier mais un certain nombre d’observations peuvent être formulées. Il semble ainsi que leur distribution soit minimaliste, trahissant une très grande polyvalence. Si l’on se réfère au cas n° 28, une unique cloison divise l’espace intérieur. Parallèle à la façade, elle scinde le 1er étage en deux pièces. De la même manière, une échelle de meunier, permettant d’accéder directement au premier étage depuis la rue et la porte centrale en façade, semble représenter initialement le seul organe de circulation. Enfin, tout porte à croire que les éléments de luxe et de confort se cantonnent à la mise en œuvre de cheminées, une par niveau.
Phase 2 : Avènement des encorbellements à entretoise et multiplication des décors (2e ½ 15e s.)
Le corpus est davantage fourni pour cette seconde phase, avec 7 immeubles édifiés durant un laps de temps relativement court d’une vingtaine d’années, entre la fin des années 1450 et la fin des années 1470 : le 9/11 Grande Rue (1459-1464d) ; le 10 rue de Rennes (1462-72d), au cœur du faubourg Saint-Martin ; les 19, 21-23 et 25-27 de la place de la Trémoïlle (1467-73d) ; le 5 rue des Orfèvres (1471-72d) ; et le 31 Grande Rue (1471-1477d) (Fig. 6). Cet ensemble se distingue d’emblée du précédent par sa plus grande diversité mais reste malgré tout animé par un socle important de caractéristiques communes.
En façade, ces dernières sont principalement au nombre de cinq. La première d’entre elles, sans doute la plus emblématique, tient au système d’encorbellement. Contrairement à la période antérieure, celui-ci n’est pas à solives débordantes mais à entretoise, c’est-à-dire composé de trois sablières superposées et en saillie : la sablière de plancher, l’entretoise à proprement parlé et la sablière de chambrée. La seconde est l’existence presque systématique d’un niveau supplémentaire. La troisième tient à la typologie des ouvertures mises en œuvre. Aux claires-voies des années 1425 succèdent des croisées auxquelles sont régulièrement associées, comme dans l’ensemble du bâti civil de cette époque, des demi-croisées. On notera également l’apparition de portes gerbières, qui permettent de faire directement entrer dans les étages, depuis la rue, mobilier ou denrées sans emprunter l’escalier de l’immeuble. Une quatrième caractéristique est le décor porté par ces élévations. Celui-ci est à la fois foisonnant, sériel et géométrique. Il orne principalement les pigeâtres, qui prennent la forme de chapiteaux, les linteaux de porte et de fenêtre taillés en accolade ainsi que les sablières constitutives des encorbellements (Fig. 7).
Enfin, ces façades témoignent d’une architecture arrivée à maturité, rationnalisée, comme le démontrent les contreventements, dont l’usage est désormais limité aux seuls emplacements où ils ont une réelle utilité ; la section moindre des bois, strictement adaptées à la charge qu’ils reçoivent ; ou encore le fait que seule une solive sur 3 ou 5 servent de tirant en étant assemblée aux sablières de plancher et de chambrée par un système à queue d’aronde.
A l’arrière de ces façades, l’intérieur de ces immeubles demeure largement méconnu, faute principalement d’opportunités permettant la conduite d’analyses spécifiques et détaillées. Comparée à la période précédente, leur distribution parait toutefois s’affiner, à travers un nombre plus élevé de pièces, multiplication rendue possible à la fois par une surface au sol plus importante et un cloisonnement accru des espaces internes. De même, les éléments de luxe et de confort se font plus nombreux. Outre les cheminées, dont la mise en œuvre était déjà généralisée antérieurement, niches et éviers deviennent récurrents. Quelques exemples rares témoignent également de l’existence de tambours de porte et de volets intérieurs, encastrés dans l’allège de fenêtre et coulissants. Aucun élément n’atteste en revanche pour le moment de l’aménagement de latrines, ce qui peut étonner lorsqu’on sait que les équipements de ce type se multiplient à la même époque dans le reste du bâti civil lavallois.
Phase 3 : Un mode constructif inchangé mais un répertoire ornemental élargi (1500-1510)
Cette troisième phase, mise en évidence relativement récemment, ne s’appuie pour le moment que sur deux édifices géographiquement proches, situés aux abords de deux rues secondaires de l’intra muros : le 23, rue des Serruriers (1500-1504d) et le 2 rue des Chevaux (1508-1509d).
Par leur structure, les pans de bois de ces immeubles ne diffèrent pas de ceux constitutifs de la phase antérieure. En façade, ils restent en outre pourvus d’encorbellement à entretoise, de portes gerbières ainsi que de croisées et demi-croisées. Ces édifices intègrent toutefois deux différences majeures. La première tient au fait que le pan de bois n’y représente plus un mode constructif exclusif. Au 2 rue des Chevaux, seule la façade sur rue est à ossature bois quand le reste du bâti est maçonné et flanqué, côté cour, d’un escalier en vis hors œuvre. La seconde, la plus visible, est l’élargissement du répertoire ornemental. Outre les motifs géométriques de la phase précédente, toujours employés, s’ajoutent désormais des décors feuillagés qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’architecture ennaturée alors en vigueur en Europe et employée dans différents chantiers de la ville (portail d’église Saint-Vénérand, extension de l’aile sud du château ; Fig. 8). Pourrait également participer à l’enrichissement de ce répertoire, même si cela reste à confirmer, les quelques décors anthropomorphiques aujourd’hui conservés, et plus particulièrement les pigeâtres adoptant les traits de portraits humains.
Phase 4 : Le retour des encorbellements sur solives débordantes (ap. 1510- c. 1550)
Cette quatrième phase est la dernière à avoir été mise en évidence. Deux sites l’illustrent : le 25 rue des Serruriers (1512-1541d), au sein de la ville close, occupant l’arrière de la porte Beucheresse ; et le 22, rue de Paradis situé sur la rive opposée de La Mayenne, dans le faubourg du Pont-de-Mayenne (1537-1538d ; Fig. 9).
De prime abord, ils pourraient s’apparenter à un retour en arrière. Comme les immeubles de la première phase, ils sont dotés d’un unique étage, relativement bas, dont le surplomb sur la rue est assuré par un système à solives débordantes. De la même manière, leur décor est soit quasi inexistant, soit relativement maladroit, comme simplement ébauché. Mais, plus qu’une régression, ces immeubles illustrent surtout le fait que l’architecture à pan de bois devient à cette époque l’apanage de chantiers modestes dont le corolaire est une nécessaire simplification des modes constructifs.
Conclusion
Initié au début des années 2000, dans le but de poursuivre et d’approfondir les travaux de D. Eraud et de l’Inventaire général, le programme de recherche du Service archéologique de Laval a d’ores et déjà permis de renouveler considérablement la connaissance de ce patrimoine emblématique de la commune, caractérisé par des façades en pan de bois et à encorbellement. S’appuyant sur des analyses dendrochronologiques, il a notamment permis de démontrer l’existence d’au moins quatre phases successives, comprises entre les années 1425 et les années 1540.
Les zones d’ombres restent malgré tout nombreuses. Parmi les problématiques majeures, auxquelles les études des années à venir tenteront d’apporter des éléments de réponse, figurent notamment la distribution intérieure de ces immeubles, les menuiseries équipant les devantures ou encore l’insertion dans le phasage exposé de typologies à la datation encore incertaine. C’est le cas par exemple des maisons dont le mur gouttereau sur rue est pourvu, comme aux 23 et 25 Grande Rue, de lucarnes monumentales.
S.Chollet.
Légendes des figures
Fig. 1 – Maison en pan de bois, rue Renaise (in Violllet le Duc E. – Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle. Paris éd. B. Bance, A. Morel, 1854-1868. 10 vol.).
Fig. 2 – D. Eraud et la couverture du n°5 de la revue Mayenne : archéologie, histoire.
Fig. 3 – Maison Guérin, rue de la Trinité. Dessin restitutif et photographie pendant de démolition, vers 1888 (M.-L. Garnier in BCHAM 1889, p. 547 ; Ville de Laval, Inventaire général, cl. 76.53.1676 X).
Fig. 4 – Restitution de la façade sur des 26 (à droite) et 28 (à gauche) Grande Rue (S. Chollet, Service archéologie et Inventaire de Laval).
Fig. 6 – Maison 9-11 Grande Rue (1459/64d ; cl. Service archéologie et Inventaire de Laval).
Fig. 7 – Pigeâtres du 25, place Trémoille (1469/70d ; J.-M. Gousset, Service archéologie et Inventaire de Laval).
Fig.8 et 9 – Maison 22 rue de Paradis (1537/38d ; cl. Service archéologie et Inventaire de Laval).