Le système fiscal de l’Ancien Régime est très complexe et inéquitable. Pour les impôts directs (taille, capitation à partir de 1695, dixième et vingtième principalement), comme pour les impôts indirects, certaines zones géographiques ou certains ordres détiennent des privilèges. Il n’existe aucune uniformité dans l’étendue du Royaume : les pays d’État jouissent d’une autonomie un peu plus large que les pays d’élection ; les impôts indirects, comme la très impopulaire gabelle, ne s’appliquent pas de la même manière à l’ensemble du territoire.
Ces derniers sont multiples et ne se limitent pas à l’impôt sur le sel. D’autres produits de consommation courante font l’objet d’une taxation. Les boissons, métaux, cartes à jouer, papiers et cartons, huiles et savons, sont soumis aux droits dits d’aides. Quant au tabac, introduit en France au XVIe siècle, il connaît un tel engouement que Richelieu impose un droit d’entrée sur les tabacs étrangers dès 1629. À partir des ordonnances de 1674 et 1681, la monarchie se réserve le monopole de l’import, de la culture et de la transformation du tabac (c’est le système de la vente exclusive).
S’ajoutent à cela des droits de douanes intérieures (les traites) qui entravent considérablement le commerce entre les provinces formant l’étendue (c’est-à-dire le territoire des cinq grosses fermes), les « provinces réputées étrangères » (Bretagne, Artois, Dauphiné, Languedoc, Provence, etc.) et les territoires « à l’instar de l’étranger effectif » (Alsace, Franche-Comté, Lorraine, etc.).
Il ne faut pas oublier les octrois perçus à l’entrée des villes et au bénéfice de celles-ci. À partir de 1647 toutefois, la première moitié de l’octroi est réservée au Roi et sa perception assimilée aux droits d’aides.
Pour tous ces impôts indirects, la pratique constante de la monarchie fut de les affermer à des particuliers, qui la déchargeaient des soucis de perception et lui fournissaient des recettes nettes et prévisibles, stipulées par bail. Dès le règne d’Henri III, la monarchie commença à centraliser les fermes. C’est le système de la ferme générale dans lequel les baux généraux sont attribués à de puissants groupes de financiers (les fermiers généraux).
L’étude d’un corpus de 400 procès-verbaux dressés par les commis aux aides et au tabac de la région de Laval pendant tout le XVIIIe siècle[1] permet de mieux comprendre le système de perception des droits d’aides et de l’impôt sur le tabac, l’organisation de l’élection de Laval (tout à la fois circonscription, administration et juridiction fiscale) ainsi que le système de la ferme générale.
Cette organisation, modèle d’efficacité et de gestion, assure aux fermiers généraux de confortables dividendes mais cristallise l’exaspération des contribuables, notamment sur la personne des commis chargés de la prévention et de la répression de la fraude et de la contrebande.
Ces dernières sont pratiquées partout et par tous (riches et pauvres, ouvrier du textile et paysans, clercs et laïcs, hommes et femmes). La contrebande semble être dans le Bas-Maine – province qui jouxte la Bretagne (pays d’État et territoire connaissant de nombreuses exemptions) – une sorte d’habitude, presque une manière de vivre.
L’imagination et la mauvaise foi des contribuables est à la mesure de la ténacité et de la violence des commis de la ferme générale. La confrontation est souvent explosive, toujours tendue.
Plants de tabac poussant clandestinement dans les jardins, paquets de tabac de Virginie caché sous les jupes des femmes, cabarets clandestins où l’on danse le dimanche en buvant du cidre non déclaré, la lecture des procès-verbaux est également une plongée dans le quotidien de la société urbaine et rurale du 18e siècle.
Les cahiers de doléances de 1789 viennent confirmer l’énorme impopularité des impôts dont le peuple estime être écrasé à la fin du siècle. La Révolution supprimera ces droits mais l’Empire saura se souvenir de la rentabilité des taxes portant sur les alcools et le tabac.
Isabelle Las, mai 2016
[1] Procès-verbaux conservés aux Archives départementales de la Mayenne dans les archives des Administrations provinciales d’Ancien Régime (Série C).